Le regard de l’expert

Le Namurois Louis Richardeau est professeur d’histoire de l’art. Nous lui avons demandé son avis sur ces œuvres de notre quotidien.

Louis Richardeau, quel est votre regard sur ces œuvres qui ornent les ronds-points de Wallonie ?

Personnellement, je suis sensible à l’abstraction. Quand on est dans l’abstrait, on ouvre bien d’avantage la porte aux imaginaires. Ces œuvres sont intemporelles. C’est difficile d’établir des critères, on reste dans une certaine subjectivité. Il y a des impératifs incontournables : la vitesse de vision, l’intégration au site, la visibilité, la lecture de l’œuvre, la cohésion avec le paysage. Les gens ne vont pas s’arrêter pour regarder l’œuvre, l’artiste doit prendre tout cela en compte. J’imagine que les plasticiens qui acceptent ce type de projet doivent savoir que c’est une œuvre qui est vue à 60 km/h ou plus. Ça doit rentrer en ligne de compte dans la conception même de l’œuvre. C’est aussi pour ça que certaines œuvres fonctionnent et d’autres pas. Un peu comme pour une publicité.

Justement, qu’est-ce qui fait qu’une œuvre est médiocre ?

Elle est médiocre quand elle n’élève pas l’esprit et l’âme et quand on sent qu’il y a une médiocrité de la pensée qui a créé cette œuvre, mais aussi une médiocrité dans la réalisation, le façonnage. Ce n’est pas le sujet qui fait la beauté, c’est la forme, l’existence dans l’espace, …

Est-ce un patrimoine qu’il faut préserver ? Faut-il encourager les pouvoirs publics à financer ce genre d’art sur les ronds-points ?

Oui, il en a toujours été ainsi, dans le passé, c’était sur les places publiques, les parcs. C’est une manière pédagogique de faire entrer l’art dans le quotidien. C’est une façon d’éduquer à l’histoire de l’art moderne et contemporaine.

Louis Richardeau nous propose ses coups de cœurs et ses coups de griffes parmi les œuvres présentées dans notre documentaire :

Ses coups de cœur :

C’est difficile de faire un choix pour un Top 5 ; il y a beaucoup de belles œuvres. Le « Diapason », de Nic Joosen (photo 1), à Angleur, va transcender les époques, elle a une forme de permanence, la conception dans l’espace fonctionne très bien, comme une musique. Elle s’inscrit admirablement dans l’espace. Elle obéit à des critères visuels et de modernité dans l’histoire de l’art. La forme est très simple, minimaliste. Il n’y a rien qui blesse l’œil et ça synthétise tout ce qu’il y a autour.

L’œuvre de Charlotte Marchal, à Mont-Saint-Guibert (photo 2), est très bien synthétisée, bien orientée. On est dans la poésie des choses. Il faut amener de la poésie dans ces grandes sculptures. Elle joue sur les pleins et les vides, il y a un côté aéré, c’est une œuvre exemplaire !

Le Cœur d’Alfredo Longo, à Havré (photo 3), est très intéressant par l’échelle et par la conception, le matériau utilisé (des canettes de Coca). Il y a un vibrato, un frémissement, c’est une démarche très interpellante.

La Louvière (photo 4) : Pol Bury, c’est le plus grand. C’est l’homme des fontaines, des boules, du mouvement lent, surnaturel. C’est très proche d’un univers magritien. C’est magnifique.

Thierry Bontridder, à Arlon (photo 5), c’est très bien aussi, c’est audacieux. Une similitude avec l’œuvre de Charlotte Marchal. Il y a des références à Alexander Calder. C’est à la fois fixe et dynamique. Ce sculpteur est au départ un excellent bijoutier. On voit dans cette œuvre une référence à un bijou, une bague. Il travaille au départ dans le très petit et ça fonctionne très bien en grand format.

Mais il y a d’autres œuvres, d’autres artistes, que notre expert met en exergue : les œuvres de Serge Gangolf, à Marche-en-Famenne, les mains à Charleroi ou à Huy. Et même le sucre et les fourmis géantes à Frasnes-lez-Anvaing, qui se distinguent par leur humour.

Ses coups de griffe :

Puis, il y a les œuvres qui fâchent, en tout cas qui n’émeuvent pas. C’est un peu le Flop 5 de Louis Richardeau.

Le Coq, de Gilles Falisse, à Flémalle (photo 1) : J’adhère moins à ce type de démarche, on sent qu’il y a du chipotage, c’est un assemblage un peu improbable, c’est très scolaire. On dirait un objet réalisé par un élève en soudure pour son TFE…

Le Strebelle, à Namur (photo 2) : Dans mon entourage, il y a unanimité pour dire que c’est une œuvre ratée. Pourtant Strebelle a fait des choses intéressantes (Sabena, le cheval Bayard), mais ici il y a un côté tentaculaire, c’est mou, c’est veule, il y a une forme d’obscénité dans cette œuvre.

Le Schtroumpf (Peyo / Fonderie d’art Luc Harzé), à Genval (photo 3) : Ça c’est terrible, ça relève plus de l’étron géant que du Schtroumpf. Le Schtroumpf dans sa conception initiale, c’est un personnage sympa tout en rondeur et en plasticité. Mais ici, le champignon a un côté phallique, c’est mou, c’est raté. C’est la preuve que le prolongement d’un dessin en sculpture, ça ne marche pas toujours. C’est le même constat pour le Folon à La Hulpe, ça ne fonctionne pas. Par contre, le Marsupilami à Charleroi est très réussi.

Le cornet de frites (Anna Touvron) de Leuze-en-Hainaut (photo 4) : C’est primaire, infantile. Ici, la taille ne fait pas l’intérêt mais plutôt la monstruosité. C’est une œuvre inintelligente.

Le Point singulier (R. Malfaison et M. Jardin), à Malonne : C’est un peu léger, fragile, référence de carrousel, de mât de Cocagne, un côté festif mais que j’assimile à quelque chose d’éphémère, la couleur et le décor sont moins solides.

Les statuaires

Sur certains ronds-points, on ne trouve pas d’œuvre d’artiste à proprement parler mais plutôt un statuaire, une installation. Ici un ancien tram (Châtelineau, enlevé depuis), là un bulldozer (Gosselies, en face de Caterpillar, disparu…), un char d’assaut (Elsenborn), un wagonnet de carrière (Saint Georges) ou une roue à aube (Verviers). Souvent un avion (Florennes, Chièvres). Celui de Florennes est d’ailleurs en cours de restauration depuis qu’un camion a tiré tout droit dans le rond-point et l’a endommagé.

Puis parfois, on installe tout simplement un bouquet d’arbres…