Histoires d’oeuvres

On passe devant sans nécessairement les voir, on tourne autour, on repart. Les œuvres d’art sur les ronds-points font partie de notre quotidien sans que l’on connaisse vraiment les histoires qu’elles ont à nous raconter.

Dès lors, en voici quelques-unes…

Siop enchaîné à son œuvre

Pour les artistes, proposer puis réaliser une œuvre qui sera posée sur un rond-point est parfois un véritable parcours du combattant. Et les désillusions ne sont pas rares. On a encore en mémoire cette mésaventure du sculpteur français Siop, au début des années 2000, qui s’était enchaîné à son œuvre au milieu d’un rond-point de Beauraing pour réclamer ce que la Ville et un mécène lui devaient. Il avait même fait une grève de la faim (mais les habitants venaient le nourrir, nous dit-on).

D’autres cas ont été moins médiatisés.

Des échasseurs salés

À Namur, les « Échasseurs » trônent fièrement à une extrémité du pont des Ardennes. Ils sont l’œuvre du Namurois Guy Leclercq. Il nous raconte leur histoire et leurs déboires.

« Quand, fin des années 90, le ministre Michel Lebrun (PSC) m’a demandé une œuvre pour placer sur le rond-point du pont des Ardennes, j’ai d’abord réalisé un modèle réduit en résine puis en bronze. Normalement, les personnages devaient faire 2,50 mètres de haut. Mais c’était trop petit pour ce rond-point, j’ai donc décidé de les faire à 3,30 mètres et j’ai payé la différence de ma poche. L’idéal, c’était 4 mètres, mais financièrement ce n’était pas possible. Il faut savoir que cela représente 400 heures de travail. Et il y a aussi le coût des matériaux : ici, il y a pour 8.000 € de silicone » (utilisé pour réaliser les moules dans lesquels sera coulé le bronze). Sans compter le coût du bronze…

« Cas particulier ici, je n’avais pas de budget imposé. Mais j’ai été très raisonnable. J’ai travaillé à 6€ de l’heure… C’est moins qu’un coiffeur… » (avant de prendre sa retraite, Guy Leclercq était garçon coiffeur en semaine et artiste à ses heures perdues).

Comme nous le verrons par ailleurs, cette œuvre a coûté 62.500 € au MET (désormais SPW).

« Mais il y a eu un énorme problème. À l’époque, c’était une commande de Michel Lebrun (cdH), c’était un cadeau de la Région wallonne à la Ville de Namur. La Ville ne m’avait rien commandé du tout. Et Jean-Louis Close (PS), qui était alors bourgmestre, a refusé de les installer. Close et Lebrun ne s’entendaient pas du tout. Donc pendant deux ans, les Échasseurs ont été stockés rue des Mines, dans un hangar où on va chercher le sel de route. Quand on a enfin décidé de les mettre en place, j’ai dû passer 15 jours à les nettoyer et les patiner parce qu’ils étaient oxydés. C’est pour ça qu’ils sont si foncés. Et il paraît maintenant que quelqu’un à la Ville veut les déplacer. J’espère que je serai consulté. »

L’artiste nous explique aussi que lors de la réalisation d’une œuvre sise au parc Créalys, à Gembloux, le rond-point n’était pas prêt à temps. Guy Leclerq a dû payer à l’avance un partenaire qui avait fourni les matériaux. « Lorsque l’on a placé la statue, il n’y avait plus de budget pour financer l’installation. Pendant deux ans, ils ont oublié de me payer… j’en ai fait de la déprime… »

Mais l’artiste garde une certaine confiance pour les institutions : « Je suis désormais disposé à proposer une œuvre pour un espace public, mais c’est moi qui rédige la convention, les arrangements. Parce qu’être artiste, c’est une catastrophe. »

Une fille accidentée

« La fille au parapluie », c’est, ou plutôt c’était, une jolie œuvre en résine de l’artiste batticien Robert Alonzi, posée sur un petit rond-point du quai d’Arona, à Huy.

Il nous explique ses mésaventures :

« Les marchés publics, c’est pas mon truc ; les paperasses c’est compliqué. C’est parfois difficile de s’y retrouver. D’autant qu’il faut passer par des intermédiaires qui demandent ‘’leur enveloppe’’. »

« Lorsque l’on a fait le rond-point de « la fille au parapluie », la bourgmestre de Huy, Anne-Marie Lizin, me l’avait commandée, ainsi qu’une peinture pour elle (qu’elle a payée elle-même, ce n’était pas un cadeau). Mais le budget était limité (pour la sculpture, 30.000 €), j’ai dû réaliser la statue avec des matériaux de moindre qualité. Un peu comme pour le rond-point des vaches, à Battice. Elles, j’ai dû les repeindre parce que la couleur fournie à la base avait coulé… »

« La fille au parapluie » a été cassée, vandalisée, plusieurs fois. « À chaque fois je l’ai réparée, à mes frais. Malheureusement, elle n’a jamais bien été mise en valeur, simplement avec des poteaux autour, sur un socle en acier Corten. Elle a fini pas être complètement détruite par une voiture. Mais je ne sais pas où elle est. La commune ne m’a jamais contacté. »

Nous avons donc posé la question à Éric Dosogne, échevin des travaux de la cité mosane. Il nous explique que l’œuvre de Robert Alonzi a été complètement détruite par une voiture (la photo ci-contre en atteste). Les morceaux sont conservés dans un entrepôt de la ville de Huy en attendant l’expertise et l’indemnisation de l’assurance.

« Sur ce rond-point sera installée une ancienne cabine du téléphérique de Huy, nous explique l’échevin hutois. Pour ce qui est de l’œuvre, l’artiste estime qu’elle n’est pas réparable. Mais il nous a proposé d’en réaliser une nouvelle. On ne sait pas encore ce que l’on fera avec l’argent de l’assurance, ce sera en fonction du montant obtenu, mais on relancera un marché public pour une nouvelle œuvre d’art, à placer à un autre endroit. Ce n’est pas vraiment un dossier urgent, d’autant que nous sommes tributaires du timing de l’assurance. »

La mal-aimée

Nivelles, à l’entrée sud de la ville, un rond-point, large. Au milieu, une… chose. Cette œuvre a été commandée par le SPW fin des années 90 à un artiste du sud Luxembourg. Une pyramide basse en béton, 5 tubes à section carrée bleus ceignent un mât chromé surmonté d’un cube sur pointe. L’œuvre ne fait pas l’unanimité, c’est le moins que l’on puisse écrire. Si du côté du SPW on préfère ne pas la commenter, tout en précisant « que s’il y a quelque chose de raté, elle n’est quand même pas si moche que ça », à la ville par contre, les avis sont un peu plus tranchés.

Pascal Rigot est échevin à Nivelles. « Les avis sont partagés, mais en général, on n’est pas très enthousiaste au sujet de ce rond-point. On n’a pas l’intention de le démonter. Mais on y a déjà pensé... On aurait préféré quelque chose de plus simple, de végétal, de fleuri. Comme au rond-point Duc de Brabant, sur la route de Waterloo. Là, on change la végétation tous les ans. C’est très réussi et cela ne génère pas trop de frais. »

Puis, il nous raconte cette anecdote : au ring nord, la Ville avait aménagé un pré fleuri sur un rond-point. Mais une société sous-traitant pour le SPW a passé la tondeuse bien ras… Un manque de communication qui, heureusement, n’a pas coûté trop cher au contribuable.

Le sculpteur amputé

Heureusement, il n’y a pas que de tristes histoires. Celle de Gianfranco Mancini en témoigne. L’œuvre qu’il a réalisée à Sprimont n’est pas sur un rond-point, mais juste à côté. Il s’agit d’un sculpteur de pierre, tout en haut d’une pyramide.

La vie de Gianfranco a basculé en 1992. Il est tailleur de pierre et vient alors de reprendre la carrière « Thomas », à Poulseur. Après un dynamitage, il est victime d’un éboulement et doit être amputé d’une jambe. « Je devenais fou de rester chez moi sans rien faire. La vie m’avait joué un sale tour mais je voulais rebondir.» Il suit alors une formation de sculpteur. « C’était ma revanche. J’avais envisagé d’être sculpteur de pierre, après ma retraite. J’ai réalisé mon rêve 20 ans plus tôt… La vie nous prend quelque chose, elle nous rend autre chose.» Il est désormais un sculpteur réputé. « Ça m’a fait grandir, m’a rendu fier de moi. J’ai trouvé un sens à ce qui m’est arrivé.»

Sa source d’inspiration est inépuisable : la femme, les courbes, les formes voluptueuses, la maternité, la filiation…