Combien ça coûte ?

En Wallonie, on dénombre environ une vingtaine de nouveaux ronds-points chaque année. Ceux-ci ne sont pas tous enrichis d’une œuvre d’art ou d’une installation. Cela dépend de nombreux facteurs : pertinence, budget, choix…

Pourquoi décide-t-on d’installer une œuvre d’art sur un rond-point ?

Harold Grandjean, de la Direction générale du Service public de Wallonie (SPW), nous éclaire sur le sujet : « La raison principale qui amène à créer un rond-point, c’est la sécurisation d’un croisement entre plusieurs axes. Au-delà de l’aspect routier, il y a aussi la volonté de créer une porte d’entrée vers une ville, un zoning, souvent avec un rappel historique ou des spécificités de la région, de la ville. Avec une œuvre d’art, un statuaire comme nous l’appelons dans notre jargon, cette porte d’entrée devient une véritable carte de visite. 

L’espace public est un endroit où il y a des œuvres d’art, cela fait partie de notre culture, aussi de nos missions. Les ronds-points sont des espaces assez grands et qui permettent de mettre quelque chose en évidence, donc pourquoi pas une œuvre d’art ?

Mais on ne peut pas mettre ce que l’on veut sur un rond-point. Au-delà de l’aspect purement artistique, qui sera débattu par un jury de la Commission des Arts de Wallonie (en ce qui concerne les routes régionales), il y a aussi l’aspect sécuritaire. Il ne faut pas que l’œuvre devienne un obstacle qui pourrait mettre en danger les usagers de la route

C’est pourquoi le choix d’une œuvre, mais aussi son financement, sont déterminés par divers intervenants : la Région wallonne, la ville où se situe le rond-point mais aussi, assez régulièrement, un mécène privé.

Qui paie ?

Le financement d’une œuvre d’art sur un rond-point varie d’un cas à l’autre. Entre l’achat même de l’œuvre, son installation et son entretien, le montage financier peut être complexe.

Certaines œuvres ne coûtent pas grand-chose. On pense aux vaches en plastique du rond-point de Thorembais-Saint-Trond. Elle font un peu « bon-marché », dans leur enclos en bois, mais elles ont l’avantage de ne pas avoir coûté une fortune (même si plusieurs d’entre elles ont été accidentées et remplacées).

Il en va évidemment autrement pour des œuvres monumentales, comme à Marche-en-Famenne par exemple, ou des œuvres d’artistes renommés (Serge Gangolf, Olivier Strebelle, Alfredo Longo, Jean-Pierre Raynaud, pour ne citer qu’eux). Là, le montage financier découle d’une convention entre diverses parties : Région wallonne, Ville, mécène.

Jusqu’à 300.000 €

Un rond-point complet, c’est, pour la Région, un coût entre 600.000 et 900.000 €, à la grosse louche. Dès lors, le coût de l’œuvre peut parfois paraître bien dérisoire. Dans le cas d’un rond-point sur le réseau communal, l’enveloppe que la Région octroiera pour l’œuvre d’art ne dépassera pas 10.000 €.

Harold Grandjean : « Le coût de l’œuvre est très variable. Lorsqu’une Commune a un projet, elle s’adresse à nous et nous pouvons prendre la gestion globale du chantier. Il y a des œuvres qui vont de 20.000 € à 300.000 €. Il y a ce que l’artiste demande, puis la réalisation de l’œuvre en tant que telle, son transport et son implantation. Il faut faire un socle en béton, prévoir l’éclairage… »

Marche-en-Famenne – Serge Gangolf

« Pour un rond-point sur le réseau communal, l’intervention du ministère des Travaux publics est de 10.000 € avec un maximum de 50% du coût de l’œuvre (si elle coûte 15.000€, on met 7.500 €, pas 10.000). La Région prend aussi en charge la mise en lumière de l’œuvre, avec également un budget de 10.000 € (octroyé dans 95% des cas). Ça c’est au niveau du SPW DGO 1, mais il peut aussi y avoir une intervention de la DGO 5 quand il s’agit de l’entrée d’un zoning, par exemple. Là, le BEP,  Idelux ou le CGT (Comité Général du Tourisme) peuvent aussi avoir un subside du SPW.  Mais les aides ne sont pas cumulables. Il peut encore y avoir un subside spécial des ministres Marcourt (Économie) ou Prévot (Patrimoine).

Puis, le reste est pris en charge par la Commune ou par un mécène privé. C’est la Commune qui doit faire le montage financier. Mais en-dessous de 50.000 € tout compris (œuvre, aménagement, socle, …), c’est difficile d’avoir quelque chose de correct. »

« Pour un rond-point sur le réseau régional, il n’y a pas de plafond mais nous tâchons de rester raisonnables. Le rond-point à la sortie Andenne sur l’E42 va être orné d’une œuvre d’art. Le budget est de 30.000 € dont 25.000 € pris en charge par la Région. Le reste par la Ville. C’est le BEP (Bureau Économique de la Province de Namur) qui gère le dossier. En fait, chaque nouveau zoning a droit à un budget de promotion. Le BEP a choisi que ce budget serait alloué à une œuvre d’art ».

La Ville, un mécène…

Il arrive régulièrement qu’un mécène intervienne dans l’achat et l’installation d’une œuvre d’art sur un rond-point.

Ce fut le cas pour deux ronds-points à Andenne, de part et d’autre du pont qui enjambe la Meuse. D’un côté, c’est une très belle sculpture de deux ours (l’emblème de la ville) ; de l’autre, un pot à fleur géant (sans fleurs) de l’artiste français Jean-Pierre Raynaud. L’œuvre a été offerte à la Ville par un industriel local, Joris Ide, fan de l’artiste. Quand on sait qu’une œuvre similaire d’un mètre de diamètre est estimée à 60.000 € sur le marché de l’art, on imagine l’ampleur du budget ici. Pour l’anecdote, il y a des pots semblables en PVC chez Mr Bricolage à 119 €.

Même chose pour la sculpture des ours. Là encore, c’est une entreprise locale, Puratos, qui a financé l’achat. Ne sachant pas si les conventions prévoyaient une contrepartie pour les entreprises, nous avons posé la question au bourgmestre Claude Eerdekens :

« Il faut souligner la générosité du patronat flamand pour la ville d’Andenne. Le rond-point « de la petite ourse et la grande ourse » est un don de l’entreprise de M. Eddy Van Belle, patron du groupe Puratos. Ils se sont installés dans le zoning de Seilles, il y a quelques années, et un jour ils nous ont proposé de placer une œuvre d’art sur un rond-point. Mais ils voulaient choisir l’artiste, en l’occurrence M. Louis Noël, de Jemelle, dont M. Van Belle est fan. L’ours était tout désigné, en tant qu’emblème d’Andenne, pour figurer sur ce rond-point ».

« M. Joris Ide, qui a racheté la fonderie Lecomte et qui est passionné d’art, a proposé d’installer une œuvre sur l’autre rive du pont. Certaines œuvres nous ont été suggérées mais ne nous convenaient pas. Finalement, il a proposé une œuvre de Jean-Pierre Raynaud, artiste réputé mondialement. On est allé à Paris, chez M. Raynaud, afin de découvrir le personnage et on a commencé à réfléchir à ce que l’on pouvait faire. Le choix s’est porté sur le pot. Raynaud qui invente le pot, c’est un peu comme Peyo qui invente le Schtroumpf… M. Ide lui en a commandé deux, un pour sa résidence de Knokke et un qu’il a offert à la Ville d’Andenne. C’est une fonderie d’art de Jupille qui les a réalisés. »

  • Combien cela a-t-il coûté à la Ville ?

« Ces œuvres ne nous ont rien coûté puisqu’elles ont été offertes à la Ville. On ne sait pas quel en a été le prix, nous n’avons pas eu l’impudeur de demander au mécène combien il avait payé. Quand votre femme vous offre un cadeau, vous ne lui demandez pas le prix qu’elle a payé… Le seul coût pour la Ville, c’est l’assurance (NDLR : dont nous ne connaîtrons pas le montant de la prime, ni le montant de la valeur couverte) ».

« M. Ide a aussi financé un architecte pour réaliser le rond-point. Par contre, dans la convention passée avec l’artiste, il est fait mention que nous ne pouvons pas toucher à son implantation, pas question non plus de planter des fleurs aux pieds du pot Raynaud. »

  • Des contrepartie ont-elles été concédées aux entreprises ?

« Il n’y a eu aucune contrepartie. Elles étaient déjà implantées dans le zoning de Seilles. Ce n’est lié à aucune autorisation à quoi que ce soit. Certaines personnes ont de la sympathie pour un artiste, c’est une façon pour un donateur de créer une trace durable de son passage. De tout temps, de grands hommes arrivent à perpétuer leur nom par une réalisation artistique. C’est une façon de survivre… »

  • Le mécène a-t-il eu le dernier mot quant au choix de l’œuvre ?

« Non, on n’est évidemment pas tenu d’accepter tout et n’importe quoi. Mais, il faut libérer les artistes, on ne peut pas les contraindre. C’est ce qui fait la différence entre un régime démocratique et un régime autoritaire, c’est la liberté de l’art. »

Mécénat

Autre exemple de mécénat à Leuze-en-Hainaut, patrie des frites Lutosa. Au milieu d’un rond-point (ovale, pour le coup), un cornet de frites géant, œuvre d’Anna Touvron, qui faisait partie d’une série réalisée à l’occasion de l’expo « BXXL » de Brusselicious. Un petit panneau signale clairement que l’œuvre a été offerte à la Ville par l’entreprise.

Qu’une entreprise finance l’achat d’une œuvre est donc chose courante. C’est souvent le cas lorsqu’un rond-point doit être créé pour faciliter l’accès aux installations de celle-ci. Dès lors, c’est l’entreprise qui devra aussi payer tous les frais de réalisation du nouveau rond-point.

Cette intervention privée est réglementée. Pas question que le logo de l’entreprise en question apparaisse sur l’œuvre ou le statuaire. Il y a des exceptions (la bouteille d’eau à l’entrée de Spa, par exemple, comme nous vous l’expliquerons par ailleurs). Ou alors, une plaque commémorative au pied de l’objet d’art rappelle ceux qui l’ont financée (entrée du ZI Créalys des Isnes, autre exemple, pour une œuvre de Guy Leclercq).

Il y a parfois des œuvres qui ne coûtent quasiment rien. L’école de promotion sociale de Jemappes a réalisé une sculpture en forme de coq par des étudiants en soudure. Ils ont reçu l’aluminium d’un fournisseur mécène et la réalisation a fait l’objet d’un travail de groupe. Voilà une belle réussite à peu de frais.

L’entretien, encore un coût

Charleroi – Martin Ankh

Pour ce qui est de l’entretien d’une œuvre et d’un rond-point, c’est également fixé par une convention entre la Commune et un tiers ou mécène, dans le cas d’un partenariat public/privé.

Le coût de l’entretien varie en fonction de la nature même de l’œuvre et de sa taille. Pour ne pas se détériorer, un bronze doit subir un entretien particulier tous les deux ans (1.500, 2.000 € voire plus). Pour une œuvre en partie végétale, l’entretien sera beaucoup plus régulier mais moins coûteux et assuré par les services parcs et jardins de la Ville, ou par une société sous-traitante pour la Région.

L’œuvre est en copropriété entre la Région, la Commune et le tiers intervenant (s’il y en a un). A priori, la Région n’intervient pas, ou peu, lorsqu’il s’agit d’un rond-point sur le réseau communal, en pleine ville par exemple. Mais sur son propre réseau régional, elle reste propriétaire et peut à tout moment demander l’évacuation de l’œuvre (pour des raisons de sécurité ou de réaménagement du site). Dans ce cas, l’artiste a aussi son mot à dire mais il ne peut être contraignant.

L’exception spadoise

Lorsque l’on descend sur la ville de Spa depuis les hauteurs de Balmoral, on arrive à un rond-point orné d’une œuvre lumineuse (sauf quand elle est en panne) aux logos de l’eau locale. Cette œuvre est une exception à plus d’un titre. C’est la société Spadel (l’eau de Spa donc) qui a financé l’édification de la chose : une grande bouteille faite de rondelles de plexi surmontée par le bonhomme au bonnet. Rien d’inhabituel jusque-là. Mais c’est aussi Spadel qui assure l’entretien de l’œuvre (habituel) et son éclairage (ce qui est beaucoup moins … courant). Nous en avons fait l’expérience lorsque nous avons réalisé cette photo. La bouteille était éteinte et c’est un responsable de la société Spadel que nous avons dû contacter pour régler le problème. Il est donc assez curieux de constater que c’est une société privée qui gère ce qui fait partie d’un éclairage public.

Autre curiosité : il n’est normalement jamais fait mention du nom de la société mécène sur une œuvre. La Région l’interdit. Or ici, trois grands logos « Spa », copies conformes des étiquettes des bouteilles, ornent le pied, en blocs, de l’œuvre. Sans doute la Ville a-t-elle choisi de laisser jouer l’ambigüité entre son nom et celui de la société. Et puis, de cette façon, elle se décharge des frais liés à l’entretien de « l’œuvre ».