Pouvait-il rêver parenthèse plus enchanteresse que celle-là ? Mécanicien de formation et de métier dans le secteur des chariots élévateurs, Jorge Veloso fut un jour extrait de l’Académie, où il coachait pour le plaisir les jeunes keepers du Standard, afin de combler en urgence le poste vacant d’entraîneur des gardiens dans le staff de son idole, Michel Preud’homme. Un intérim de quasi deux saisons, ponctué du titre de champion de Belgique… avant de réintégrer l’ombre du milieu amateur, sans aucun regret. Rencontre.

Nous sommes au début du mois de septembre 2006. Quelques jours plus tôt, Johan Boskamp, arrivé en grande pompe en bord de Meuse à la fin du mois de mai, a (déjà) vidé son casier d’entraîneur principal du Standard de Liège. Le bilan chiffré est catastrophique (2 sur 12 en championnat), l’Europe n’est déjà plus qu’un souvenir (élimination au tour préliminaire de la Ligue des champions), les têtes tombent : au-delà du T1, c’est l’ensemble du staff qui se voit offrir son C4.

Comme chaque mercredi, Jorge Veloso passe les grilles de l’Académie afin de dispenser l’entraînement aux jeunes gardiens rouches. Les mines sont basses, l’atmosphère pesante, les couloirs vides. Mais alors que ses pensées sont déjà focalisées sur le prochain exercice à dispenser à ses jeunes ouailles, il est appelé dans les bureaux, où l’attendent Pierre François, Dominique D’Onofrio et Michel Preud’homme. « Aïe », se dit-il… Serait-il le prochain à devoir faire ses valises ? « Jorge, sais-tu pourquoi nous t’avons convoqué ? », demande alors le directeur général. « Ben… ce n’est jamais bon signe quand on est convoqué dans les bureaux », hésite Jorge. Éclats de rire. « Non, ce n’est pas ça, ne t’inquiète pas. Est-ce que ça t’intéresserait de reprendre le poste d’entraîneur des gardiens dans le staff de l’équipe première, dirigé par Michel ? »

MPH, l’idole

Pour bien comprendre ce qui se passe alors dans la tête de Jorge Veloso, il faut connaître son histoire, sa carrière. Certes le gaillard alors âgé d’une quarantaine d’années a connu le succès pratiquement partout où il est passé, collectionnant les titres de champion tant en qualité de joueur qu’en tant qu’entraîneur des gardiens, mais celui qui bosse alors comme mécanicien dans le secteur des chariots élévateurs n’avait jamais jusque-là fréquenté le milieu du football professionnel.

« Je suis passé par Vaux, Prayon, Eupen, Milanello, Remouchamps, Montegnée… Puis l’académie Foot 2000, Visé, les jeunes du Standard… J’ai eu de la chance de toujours me retrouver avec de bonnes équipes et donc les résultats étaient toujours positifs », admet Jorge Veloso. Mais de là à espérer bosser un jour aux côtés de son idole ? « Quand tu rentres dans ce bureau et que tu te retrouves face à Michel Preud’homme, Dominique D’Onofrio et Pierre François, tu te dis : « Wow ! »… C’est comme être dans un rêve. Michel Preud’homme a toujours été mon idole. En fait, c’est Monsieur Jean Nicolay qui avait proposé mes services, tandis que le club cherchait une solution pour le poste d’entraîneur des gardiens en interne. Un contrat de deux saisons m’attendait. Mais bon. J’avais un travail, donc un patron que je ne pouvais pas quitter comme ça. Et puis j’ai dû en discuter avec ma femme et mes deux filles. Mais travailler au Standard de Liège, et en plus dans le staff de Michel Preud’homme, c’était un rêve qui devenait réalité. »

« Quand j’écoutais Michel, je n’avais qu’une envie : monter sur le terrain avec les joueurs »

Michel Preud’homme. Sans aucun doute l’un des personnages centraux dans le titre qui tombera dans l’escarcelle liégeoise vingt mois plus tard. « Il a mis tout en œuvre pour pouvoir y arriver », se souvient Jorge Veloso. « Il s’est d’abord entouré d’un staff particulièrement soudé avec Manu Ferrera, Stan Vanden Buys et le regretté Guy Namurois. La première année, on a atteint la finale de la coupe de Belgique contre Bruges. Et la suivante, on était champion de Belgique… Mais ce n’est pas un hasard qu’on ait été sacrés. C’est le fruit d’un énorme travail, même s’il y avait bien sûr du talent avec les futures stars qui se trouvaient dans le noyau. »

« C’est d’ailleurs là l’une de mes plus grandes fiertés », ajoute Jorge. « Vu le niveau d’exigence de Michel, j’ai dû boulotter, mais je suis arrivé au bout de mes deux années de contrat. Michel Preud’homme m’a toujours laissé donner mes entraînements, sans jamais interférer dans les exercices que je donnais. Je le prends d’ailleurs comme une fierté. Il savait comment faire pour nous mettre en confiance. Les joueurs, comme le staff. Quand il parlait à un joueur dans le vestiaire avant un match, j’étais toujours à deux mètres de lui. Il savait comment le motiver. Et moi, je n’avais qu’une envie quand Michel avait terminé : monter moi-même sur la pelouse ! »

« La pression était énorme »

L’autre élément clé de cette saison qui a marqué à jamais Jorge Veloso et le Standard, c’est la pression. « Elle était énorme », se rappelle celui qui est devenu cette année-là le premier Portugais à remporter au sein d’un staff le titre de champion de Belgique. « Quand j’étais sur le petit banc et qu’on jouait à domicile, avec l’ambiance et l’engouement des supporters, on avait l’impression de planer de 20 centimètres au-dessus du sol. Par contre, quand ça allait mal, on se sentait comme… écrasé sur le sol ! »

Alors, quand le 20 avril 2008, Frank De Bleekere fait résonner les trois coups de sifflet synonyme de premier titre après 25 ans de disette, c’est l’explosion.

« Je me souviens surtout de l’envahissement de terrain par les supporters. Déjà de l’extérieur ça a dû être impressionnant, mais de l’intérieur c’était extraordinaire. Les gens se précipitaient vers les joueurs, vers le banc, c’était la folie. La ferveur des gens… cette folie… C’était inimaginable. Tout était… comme… exagéré ! Il faut dire que l’attente avait été particulièrement longue », sourit l’ancien « T4 », lequel garde encore aujourd’hui précieusement plusieurs clichés de la fête où, vêtu du t-shirt « Standard Champion », il reçoit des salves de champagne aux côtés de Preud’homme, son idole. « Et puis après, dans le vestiaire, c’était… indescriptible ! Les joueurs nous ont évidemment tapés dans les douches. C’était comme une fête de titre dans les petits clubs. Sauf que tout était surdimensionné. »

Des lendemains qui (dé)chantent

Le lendemain, Jorge Veloso peine encore à y croire. « On n’a pas beaucoup dormi », sourit-il. « Par contre, on se rend vite compte qu’on a beaucoup d’amis (rires) ! Et, surtout, on prend conscience de ce que l’on vient de réaliser. » Encore une fois, c’est le discours de MPH qui marque le coach des gardiens : « Des moments comme ceux-ci, il y en a peu qui ont la chance de les vivre. Alors, profitez-en… »

« Profitez-en », d’autant plus que, pour certains, comme pour Jorge, ce sera là l’apothéose. « Je venais du monde du foot amateur. C’était impensable pour moi de vivre ça un jour », confie encore Jorge, l’air pensif.

« Des moments comme ceux-ci, il y en a peu qui ont la chance de les vivre. Alors, profitez-en… »

La suite ? Elle s’écrit ailleurs. À Gand, notamment, pour Michel Preud’homme, qui y emmène son staff. « Mais avec moi, cela ne s’est pas fait », évoque, sans regrets, Jorge. « Mon contrat de deux ans au Standard s’achevait et Michel m’a proposé de l’accompagner à Gand, même s’il connaissait déjà ma réponse… Parce que d’une part je ne parlais ni anglais, ni néerlandais, ce qui ne pouvait pas fonctionner aux yeux des dirigeants gantois. Et puis d’autre part parce que j’avais une vie de famille. Je ne pouvais pas partir là-bas loin de ma femme et de mes deux filles. Ni les emmener avec moi, car elles avaient un boulot, une école. J’aurais préféré pouvoir rester au Standard, chez les jeunes par exemple. Mais cela n’a pas été possible. »

Le « T4 Pro », la nouvelle vie de Veloso

Alors Jorge est allé frapper à la porte de son ancien employeur, qui l’a accueilli à bras ouverts, lui offrant ainsi l’opportunité de reprendre son métier de mécanicien dans le secteur des chariots élévateurs. Et le foot ? « Je me suis retrouvé à Visé, en D2, avant que Christophe Dessy ne vienne me rechercher pour entraîner les jeunes gardiens de l’Académie du Standard il y a 5 ou 6 ans. Depuis, je m’occupe des 11/14 ans et je développe parallèlement un outil, le « T4 Pro », qui permet d’aider les entraîneurs de gardiens dans leur tâche quotidienne.

« C’est un outil qui se présente sous la forme d’une pyramide tronquée et dont toutes les faces peuvent être exploitées. Il permet ainsi de pouvoir travailler avec plusieurs gardiens en même temps, sans temps morts. Il est le fruit de mon expérience personnelle (NDLR : le nom « T4 » fait d’ailleurs directement référence au poste qu’il occupait dans le staff rouche l’année du titre de 2008) et je le perfectionne continuellement. »

Avec des exemplaires vendus au Qatar, dans plusieurs clubs formateurs français comme Rennes ou Guingamp, et diverses collaborations en région liégeoise, du côté de Genk et même en Italie, cette nouvelle vie convient parfaitement à Jorge Veloso. « Je travaille chez mon patron à 4/5e et je suis le mercredi à l’Académie avec les 11/14 ans du Standard. Le reste du temps, je peaufine mon outil, je conçois des exercices. Mon plus grand plaisir, c’est d’être sur le terrain et de montrer un nouvel exercice, de présenter mon outil. C’est d’ailleurs mon autre grande fierté, avec celle d’avoir été champion de Belgique au Standard dans le staff de Michel Preud’homme : cet outil, je l’ai conçu de façon artisanale. Je continue d’en fabriquer moi-même, de mes mains, dans mon propre jardin. Récemment, l’Union belge a montré de l’intérêt et je vais partir présenter mon « T4 Pro » lors d’un stage à Palerme, puis au Portugal. C’est moi qui l’ai fait. Et sans l’aide de ma famille, de ma femme et mes deux filles, je n’y serais jamais arrivé ! »

Le coup de Vigo

Son étiquette d’« amateur dans un monde pro » n’a pas manqué de susciter quelques blagues durant sa période dans le staff de Michel Preud’homme, comme ce fut par exemple le cas lors d’un déplacement européen à Vigo. « On était arrivé dans un hôtel exceptionnel, avec des chambres vraiment géniales, la vue sur la mer… On était au restaurant de l’hôtel et la bouffe était super-bonne. Tout à coup, Michel se lève et commence à râler comme quoi rien n’est bon, que l’hôtel est nul… Et moi, je ne comprends pas. Je me dis qu’il est fou, il est super cet hôtel. Mais Michel et le reste du staff en remettent une couche et je ne sais plus où me mettre… Puis, d’un coup, ils se tournent tous vers moi et se mettent à éclater de rire : ils me faisaient une blague ! Évidemment que l’hôtel était super-génial !! Et moi, qui n’avais pas l’habitude, je découvrais tout ça avec des yeux grands comme ça… »

Renard et Espinoza

Jorge Veloso a eu notamment sous ses ordres Olivier Renard et Rorys Aragon Espinoza. « Deux charmants garçons qui m’ont aidé dans mon métier. Sans leur aide, je n’y serais pas arrivé. Cela témoigne bien de l’osmose qu’il y avait dans le vestiaire entre les joueurs et avec le staff. Un peu comme ce que l’on peut voir aujourd’hui avec le Standard de Ricardo Sa Pinto. On sent que tout le monde est prêt à se battre pour l’autre. »

Le « staff de l’année »

Après le titre obtenu en avril 2008, Michel Preud’homme reçut le trophée de « l’entraîneur de l’année ». « Mais il a absolument tenu à ce que nous montions, tout son staff, à ses côtés sur le podium de la remise des prix. Il voulait ainsi nous partager son titre. C’est vraiment quelqu’un de généreux. Malgré son parcours, il a toujours su rester humble, c’est vraiment un grand monsieur… »

Vous avez aimé ou détesté ce reportage ?