Depuis trois semaines, les équipes de soins intensifs de l’hôpital Brugmann de Bruxelles se battent contre le coronavirus. Reportage au cœur d’une bataille loin d’être gagnée.

Derrière la double porte du service de soins intensifs du CHU Brugmann de Bruxelles, même si la majorité des 24 lits du service est occupée pour l’instant, la situation reste sous-contrôle. Au premier coup d’oeil, la vie du service semble même se dérouler dans une certaine sérénité. « C’est calme ces derniers jours, c’était plus agité la semaine passée », précise rapidement une infirmière. Une atmosphère sans comparaison toutefois avec les images partagées ces dernières semaines par les hôpitaux du nord de l’Italie.

Dans un calme olympien, tout tout le monde s’affaire à terminer les soins de la matinée, seul le bip régulier du contrôleur des électrocardiogrammes rappelle que, derrière ces portes, des femmes et des hommes sont occupés de livrer une délicate bataille face à ce satané virus. 

« Depuis le début de la crise, nous avons augmenté notre capacité de six lits spécialisés supplémentaire. Heureusement, puisque jusqu’à cette semaine, nous étions en capacité quasiment maximale. Désormais, la situation semble se stabiliser, mais nous ne sommes pas à l’abri d’une seconde vague », prévient d’emblée le professeur David De Bels, chef du service, histoire de rappeler que le combat est encore loin d’être gagné.

Des situations de crises, l’unité des soins intensifs de cet hôpital bruxellois en a déjà vécues. Le 22 mars 2016 par exemple. L’unité de Brugmann faisait partie de la première ligne pour les nombreux blessés des attentats de Bruxelles.

Mais face au Covid-19, le combat est différent. Inégal. En urgence, le service a été contraint de revoir complètement son organisation. « Parce qu’avec le coronavirus, les patients sont très lourds, confirme Yves Maule, manager de soins. Théoriquement, le ratio habituel est d’un infirmier pour trois patients. Actuellement, nous avons dû le réduire à deux. Quand ils arrivent et qu’ils sont souvent très instables, c’est parfois encore trop lourd pour les équipes. D’autant plus que nos plans catastrophes nous préparent à affronter un gros pic d’activité durant une courte période. Ici, c’est apparu progressivement, mais cela dure bien plus que nos plans ne nous y ont préparés. C’est une difficulté supplémentaire. Nous ne savons pas où nous allons. Jusqu’à quand ? »

« D’autant plus que nos plans catastrophes nous préparent à affronter un gros pic d’activité durant une courte période. Ici, c’est apparu progressivement, mais cela dure bien plus que nos plans ne nous y ont préparés. C’est une difficulté supplémentaire. Nous ne savons pas où nous allons. Jusqu’à quand ? »

Quand il doit être envoyé aux soins intensifs, un patient atteint du coronavirus doit souvent y rester le plusieurs semaines. « Or, on sait par expérience que 15 à 20 % des patients hospitalisés vont se dégrader et finiront par atterrir ici, reprend le professeur De Bels. C’est moins le cas pour l’instant, mais ces quinze derniers jours, au vu de l’afflux de patients, à chaque coup de fil, ma première question était de savoir où j’allais bien pouvoir les mettre. Tous les hôpitaux ne sont en plus pas égaux, mais désormais la situation est bien gérée à l’échelon fédéral. »

Deux ans pour former un infirmier spécialisé

Alors que la crise du Covid-19 frappe la Belgique depuis trois grosses semaines, le service a pu compter sur la souplesse de ses docteurs et infirmiers pour continuer de fonctionner le plus normalement possible. « Enfin, si on peut appeler cela normalement, reprend le manager. Il a fallu demander aux gens de faire des heures supplémentaires, de réduire leurs congés ou encore en rappeler certains qui travaillent désormais pour d’autres services. Pour le moment, nous n’avons plus de vie privée. Nous n’avons plus qu’une vie professionnelle. Ces dernières semaines, on a beaucoup parlé du nombre de respirateurs disponibles, mais on a souvent oublié que, sans les personnes qualifiées pour les faire fonctionner, on ne peut de toute façon pas faire grand chose. Ici à Brugmann, nous avons la capacité d’avoir plus de lits spécialisés, mais il nous manque la main-d’œuvre qualifiée. Un infirmier capable de travailler avec un respirateur ? Il faut deux ans pour le former. »

Et si la lourde bataille pour éliminer le virus du corps de leurs patients ne suffisait pas, il faut en plus éviter sa propagation à l’intérieur même du service. Avant de pénétrer dans une des chambres, le rituel est le même : masques FFP2, visières de protection, gants chirurgicaux, combinaisons, etc. Chaque docteur ou infirmier doit prendre le temps de s’équiper de la tête au pied avant d’approcher les malades. « Vous avez oublié quelque chose à l’intérieur ou d’appuyer sur un bouton ? Vous êtes obligés de tout recommencer, raconte une infirmière. Forcément, avec la fatigue, cela arrive. C’est difficile. Nous n’avons pas droit à l’erreur. »

«Vous avez oublié quelque chose à l’intérieur ou d’appuyer sur un bouton ? Vous êtes obligés de tout recommencer, souligne une infirmière. Forcément, avec la fatigue, cela arrive. C’est difficile. Nous n’avons pas droit à l’erreur. »

La crainte d’attraper le virus

Les gestes sont répétés. Encore et encore. Souvent sous l’œil d’un collègue attentif et bienveillant. Chacun y va de son coup de main, même des collègues débarqués des autres étages. « On apprend sur le tas. On ne pouvait pas rester les bras croisés face à une telle tragédie », souligne l’un d’entre eux, logisticien, venu en renfort d’un autre service.

Une fois les soins terminés, les combinaisons sont enlevées avec précaution, puis directement isolées dans de grands sacs-poubelles pour être détruites.

Quand un patient quitte sa chambre, le travail est plus méticuleux encore. Chaque recoin et chaque objet doit être nettoyé avec le plus grand soin. Le virus s’accroche partout. « Dans les équipes, il existe en plus la crainte de contracter la maladie, souligne le chef du service. Nous avons tous en tête les images de nos patients gravement malade. Nous nous battons contre une maladie mortelle. Ce n’est pas rien. Certains l’ont déjà contracté et s’en sont, heureusement, sortis sans trop de dommages. Pour ceux qui n’ont pas encore été malade, c’est un stress supplémentaire. Au quotidien, ils se demandent sans cesse s’ils n’ont pas commis une erreur. »

Au fond du couloir, un éclat de rire surgit depuis la salle de repos, au milieu de la table traînent quelques friandises de Pâques. En travaillant, certains fredonnent les airs qui passent à la radio. « Ce dont je rêve ? Un rendez-vous chez le coiffeur et un durum », rigole une infirmière avant de pénétrer dans la chambre d’un patient. Malgré la situation critique, l’ambiance semble rester bonne au cœur du service. Malgré la fatigue et le trop d’heures prestées, les sourires décorent toujours les visages.  « Ce week-end, on avait sorti la table à l’extérieur pour profiter du soleil, raconte le docteur. Nous n’avions pas le barbecue, mais nous essayons de nous trouver quelques petits bonheurs malgré tout. »

Du côté des bonnes nouvelles, depuis le 25 mars dernier, une dizaine de patients a déjà quitté les services de soins intensifs de l’hôpital bruxellois. « C’est important psychologiquement pour les équipes, termine David De Bels. Elles se rendent compte que le combat n’est pas vain. La littérature médicale semble dire que la moitié des patients mis sous respirateurs artificiels va mourir, mais ce n’est visiblement pas inéluctable. Quand vous voyez un patient sortir vivant alors que son pronostic semblait engagé, c’est forcément un sacré coup de boost. On se dit qu’il est possible de faire mentir les statistiques. Chaque fois qu’un patient sort, c’est une nouvelle victoire. »

« Quand vous voyez un patient sortir vivant alors que son pronostic semblait engagé, c’est forcément un coup de boost. »