Acquis par la famille Froidbise en 2019, l’édifice inscrit au patrimoine exceptionnel de la Wallonie deviendra un gîte hors normes.

Le plus beau joyau d’un enfant du pays

À la demande de la Région wallonne, les façades du château devraient être repeintes. Autrefois jaune et puis rouge, la couleur reste encore à déterminer.

En février 2019, une annonce immobilière des plus atypiques est publiée par Sotheby’s. Pour la coquette somme de 13,5 millions d’euros, la célèbre maison propose l’un des plus prestigieux trésors du patrimoine namurois, le château de Haltinne (Gesves). Outre le château du XVIIe  siècle comptant une quarantaine de pièces, l’offre se compose d’un vaste domaine de 250 hectares comprenant cinq étangs, une forêt, des prairies, des champs, une ferme et une petite dizaine de maisons.

Une question brûle alors toutes les lèvres : qui se portera acquéreur ? Ce vendredi matin, alors qu’une brume automnale recouvre le Condroz, Emmanuel Froidbise nous attend devant le pont de pierre enjambant les douves qui ceinturent le château. L’homme n’est autre que le fils de Claude Froidbise, le nouveau propriétaire des lieux qui signe là sa plus belle acquisition.

À la tête de la holding Ogepar, dont le siège est situé à Gand (lire plus bas), ce dernier est, contrairement à toute attente, un enfant du pays. « Mon père est né en 1943, ici, à Haltinne, dans l’une des deux écoles du village. Laquelle ? On ne le sait malheureusement pas… », explique Emmanuel Froidbise avant de nous inviter à pénétrer l’endroit et de lever le voile sur les intentions de l’entreprise familiale.

« Nous ne souhaitons pas vivre ici, mais nous tenons à préserver l’âme du château, car c’est ce que l’on aime chez lui, explique notre guide. Nous avons donc décidé d’en faire un gîte. » Une appellation qui sonne comme un doux euphémisme vu l’ampleur du projet.

Priorité à l’hébergement

C’est l’aile sud, celle du corps de logis, reconnaissable à son pont-levis, qui sera dédiée à l’hébergement. À l’étage inférieur, celle-ci dissimule derrière chaque porte de spacieuses pièces. Certaines sont remarquables, comme la salle à manger lambrissée de panneaux de chêne ou encore un salon aux murs recouverts de soie rose sur lesquels dansent les reflets des douves. C’est aussi dans cette aile que se trouve la plus ancienne pièce du château : la cuisine.

Sans surprise, des travaux de rénovation sont programmés. Après tout, il semble bien difficile de traverser les années sans porter le poids des siècles. Mais c’est surtout dans les niveaux supérieurs qu’un important chantier est prévu.

Tandis que les combles, véritable paradis des pigeons, devraient être réaffectés en trois dortoirs, les volumes du deuxième étage seront repensés.

« Aujourd’hui, le château compte à peu près une salle d’eau pour trois chambres […] Notre souhait, c’est que chacune d’entre elles dispose de sa salle de bain privative, afin de répondre aux demandes actuelles », explique Emmanuel Froidbise. Reste à voir dans quelle mesure ce souhait pourra être rencontré. En effet, le château de Haltinne étant repris sur la liste du patrimoine exceptionnel de Wallonie, l’assentiment de la Région sera nécessaire.

Lieu de réunion

En offrant une grande capacité de logement, les Froidbise entendent faire du château de Haltinne un lieu propice aux réunions, qu’elles soient familiales ou professionnelles. De quoi faire vivre l’endroit tout au long de la semaine. À cet effet, les ailes ouest et nord, qui autrefois abritaient écuries et granges, seront réhabilitées. Le rez-de-chaussée accueillera une salle de réception, tandis que le deuxième étage sera alloué aux salles de conférences. « On pourra également y organiser des mariages, mais pour cela, il faudra loger sur place », précise Emmanuel Froidbise.

Coût pharaonique

Le projet est colossal et les moyens à consentir pour le mener à bien tout autant. La simple restauration de la grille d’entrée, initialement destinée au domaine de Ciergnon avant d’être refusée par Léopold II, l’illustre : 325 000 €.

Le coût total des travaux, auxquels la Région contribuera via des subsides, est lui estimé à 15 millions d’euros. Une fois le lustre du château retrouvé, les Froidbise espèrent qu’il sera capable de s’autofinancer grâce aux activités qui y seront développées. La fin du chantier ? C’est la grande inconnue. « Mon père a déjà 77 ans. Il a évidemment hâte de voir les travaux se réaliser. »

De ferme château à lieu de plaisance

Gustave Dumont acquit le château de Haltinne en 1889.

Meurtrières, douves, ces apparats laissent à penser que le château d’Haltinne eu autrefois une quelconque fonction militaire. Il n’en n’est rien. Cette bâtisse, érigée au XVIIe  siècle par Gérard de Groesbeek, était à l’origine une ferme château. Son histoire, elle, se mêle à celle de grandes familles qui connaîtront des fortunes diverses. À plusieurs reprises, l’édifice et son domaine seront vendus par nécessité et non par choix.  Après les de Groesbeek, la bâtisse passe entre les mains des de Mérode et de Tignée. À la fin du XVIIe  siècle, des travaux s’imposent : deux incendies sont passés par là. Les Goer de Herve procèdent à divers aménagements. Le château ferme se mue en lieu de plaisance et garde depuis lors le même aspect. Il restera dans le giron de la famille jusqu’en 1813 où les d’Aspremont-Lynden en prennent possession. Haltinne est finalement acquis en 1889 par Gustave Dumont, le directeur des usines de Sclaigneaux. Son buste trône encore au pied de l’escalier de pierre de style Louis XIII, aussi imposant qu’exceptionnel, se trouvant au cœur du château. La présence du capitaine d’entreprise qui fut actif dans le secteur des métaux non-ferreux est vivement souhaitée par les nouveaux propriétaires qui voient une sorte de clin d’œil entre leur propre parcours. Avant son acquisition en 2019 par les Froidbise, le château était toujours en possession de descendants de Gustave Dumont, les Lamarche.

Décédé en 2015, André Lamarche fut un héros de la résistance belge. En 1943, alors qu’il tente de rejoindre l’Angleterre, il est arrêté à la frontière espagnole avec de faux papiers. Passé par différents camps de prisonniers, il sera contraint d’embarquer dans un train ayant pour destination Bunchenwald. Il parviendra à s’en échapper en sciant plusieurs planches du wagon. Il regagnera Haltinne et s’engagera dans un groupe de résistants de Villers-le-Bouillet. Son père a, quant à lui, été reconnu « Juste parmi les Nations » pour avoir hébergé au château les Perlmutters, un couple juif, durant l’occupation.

Gîtes de toute taille et réflexion globale

L’ancienne maison du régisseur du domaine deviendra un gîte intimiste pour tout ceux qui souhaitent se mettre au vert.

Si la réhabilitation du château est l’élément phare du projet porté par la famille Froidbise, cette dernière n’en n’oublie pas pour autant le reste du domaine. « La Région nous a demandé de faire appel à un architecte paysagiste pour avoir une réflexion globale », indique Emmanuel Froidbise. Différents projets sont dans les cartons. Parmi eux, la volonté de transformer l’étendue herbeuse qui fait face à l’aile sud en un jardin à l’anglaise, ou encore la création de gîtes dans les dépendances qui se situent aux abords directs du château, comme l’ancienne maison du jardinier de même que celle du régisseur. « Par exemple, pour celle du régisseur, nous voulons faire un gîte premium pour des couples. Nous espérons, avec l’accord de la Région, introduire le permis fin janvier 2021 », explique Emmanuel Froidbise tout en s’amusant du look de cette bâtisse que l’on croirait tout droit sortie d’un conte de fées. Pour les personnes les plus impatientes à l’idée de goûter à la vie de château, un gîte de 6 places est déjà en activité dans l’ancienne forge qui était jadis alimentée par le Struviaux.

Un chiffre d’affaires à neuf chiffres

Fondateur de la holding Ogepar, Claude Froidbise, le nouveau propriétaire d’Haltinne, a tout d’un self-made-man. Déjà père de deux enfants et dans l’attente d’un troisième lorsqu’il termine ses études à l’Université de Namur, l’homme part remplir son service civil au Congo pour le compte de la Belgolaise. Il deviendra par la suite représentant de l’Anglo Belgian Corporation à Kinshasa. Du moins jusqu’à ce que cette dernière ne traverse une période de turbulence. « Là, il n’a pas eu peur, sourit Emmanuel Froidbise. Plutôt que de voir son gagne-pain s’envoler, il a décidé de racheter la société qui l’employait. »

En 1985, la holding Ogepar est fondée. Sa première acquisition sera l’Anglo Belgian Corporation (ABC). Basée à Gand depuis 1912, ABC produit des moteurs Diesel pour l’industrie maritime et ferroviaire. « Nos machines sont utilisées sur des locomotives de la SNCB, par exemple. »

Au fil du temps la holding se développe et ses activités se diversifient.

Cinq secteurs d’activité

Ogepar compte aujourd’hui cinq grands secteurs d’activité répartis sur trois continents. ABC demeure toujours l’un des poumons du groupe.

Autre secteur de poids, celui des fonderies. Le groupe en détient quatre situées en France et en Allemagne. « Elles produisent des pièces de fonte complexes pour les secteurs des machines agricoles, des camions et engins de génie civil », précise Ogepar. Vient ensuite la filiale ABC Contracting, qui propose des solutions pour l’industrie de l’énergie, notamment en Afrique. Elle y développe outils de production et réseau électrique. « Récemment, nous avons installé en Mauritanie une centrale hybride, qui mêle production d’électricité grâce à des panneaux photovoltaïques et des moteurs Diesel fabriqués par ABC », illustre Emmanuel Froidbise.

Ogepar est par ailleurs active dans le secteur de l’industrie des machines-outils. Elle détient entre autres Pégard Productics (Andenne) qui est active dans la maintenance et la rénovation de machines. Le groupe opère finalement dans le secteur immobilier et de l’hôtellerie. Il possède deux hôtels. L’un à Kinshasa et l’autre à Pointe-Noire. En septembre, il inaugurera à Andenne l’Hôtel Pégard.

« Une partie de l’usine sera rénovée. L’idée n’est pas de la cacher. Certaines fenêtres de cet établissement, qui comptera 38 chambres, donneront directement sur l’usine », souligne Emmanuel Froidbise qui souhaite attirer une clientèle d’affaires.

Au total, le groupe Ogepar emploie 1 700 collaborateurs et son chiffre d’affaires atteint les 300 millions d’euros.

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