Il y a tout juste 50 ans, le festival de Woodstock allait marquer l’histoire de la musique, du mouvement hippie et du monde entier. Il y a eu des festivals avant. Il y a eu des festivals après. Et pourtant, Woodstock reste la référence absolue. « Trois jours de paix et de musique » qui ont rassemblé les 15, 16 et 17 août 1969 près d’un demi-million de jeunes sur un terrain en pente de Bethel, à 75 km de Woodstock, dans l’État de New York.On a essayé de comprendre pourquoi Woodstock reste un événement si mythique.

5 éléments qui ont fait le mythe

1. Les artistes


Le festival de Woodstock rassemblait la crème du blues, du folk et du rock’n’roll de l’époque, mais aussi des quasi inconnus, que le festival a fait exploser. Des Who à Ten Years After, Crosby, Stills, Nash and Young, Sly and The Family Stone, Canned Heat, Jannis Joplin ou Jimi Hendrix.
Toutes ces prestations devenues mythiques : Richie Havens contraint de prolonger son set parce qu’il était le seul artiste présent sur place, les autres, comme les spectateurs toujours coincés dans le chaos des routes. La version de With a Little Help From My Friends de Joe Cocker. Jimi Hendrix qui fait hurler sa guitare pour imiter le bruit des bombes, sur l’air de l’hymne américain, en pleine guerre du Vietnam. Le solo hallucinant du batteur de Santana… Mais aussi certains en dessous de ce qu’ils pouvaient faire : en plus de conditions techniques et météo dantesques, certains artistes étaient aussi, tout simplement, impressionnés par la foule.

2. Les valeurs


Il n’y a pas que la musique qui a attiré les festivaliers de l’époque. Il y avait l’idéologie aussi : « On est en pleine guerre du Vietnam et les baby boomers sont en âge d’aller combattre, détaille Étienne Dombret, le chef éditorial de Classic 21. Il n’y avait pas que des fumeurs de joints et des doux rêveurs, mais un vrai engagement contre la guerre, pour la libération des mœurs et les prémisses de l’écologie. Woodstock a été en quelque sorte le point culminant de la culture hippie et de sa soif de liberté. »

3. Le chaos


L’afflux massif vers le terrain du festival a provoqué un embouteillage monstre avec des artistes coincés eux aussi et finalement conduits en hélico, des voitures abandonnées sur des kilomètres, des spectateurs qui ne sont jamais arrivés ou qui n’ont jamais retrouvé leur voiture. L’armée a dû intervenir pour fournir eau et nourriture qui n’étaient pas prévues pour une telle affluence (168 000 tickets avaient été vendus). Les organisateurs se sont retrouvés très vite dépassés par l’affluence et ont dû rendre le festival gratuit dès le premier soir à cause des spectateurs qui forçaient les barrières. Niveau sécurité on n’était pas loin de zéro. « Heureusement que le public était pacifiste », souligne Étienne Dombret. Sans compter les pluies torrentielles qui ont transformé le terrain en pataugeoire et rendu la scène dangereuse. Dans le chaos, les concerts ont pris tellement de retard que certains artistes comme Grateful Dead ou Jimi Hendrix ont joué en pleine nuit ou au petit matin devant une plaine de spectateurs assoupis.

4. Les images


Sur place il y avait des médias qui ont surtout rendu compte du fiasco. Mais les images de couples enlacés qu’on a tous en tête, viennent plutôt du documentaire de Michael Wadleigh, Three days of peace and music : un film complètement immersif de trois heures dans les coulisses de l’événement. Sorti l’année suivante, le film, diffusé dans le monde entier a permis à tous ceux qui n’y étaient pas, de vraiment vivre Woodstock de l’intérieur.

5. La nostalgie

Woodstock n’est pas qu’un festival, il est le symbole d’une époque, d’une idéologie de liberté absolue. Une sorte d’âge d’or du rock idéalisé par les jeunes générations. « On est à l’époque de l’industrialisation des festivals. Les jeunes y vont toujours avec cette démarche positive de liberté, même si c’est très encadré. C’est difficile d’imaginer qu’un festival puisse encore fédérer autant de monde. Je pensais ne plus jamais assister à des rassemblements de masses autour d’un idéal, mais il y a eu les marches des jeunes pour le climat, les gilets jaunes. Il y a pas mal d’analogie avec l’idéal de l’époque, mais ce sont d’autres canaux de mobilisation que la musique. »

Le festival anniversaire qui n’aura pas lieu

Dès le départ en 1969, « Les organisateurs de l’époque avaient une démarche complètement mercantile, rappelle Étienne Dombret, le chef éditorial de Classic 21. Alors même si ça a été le chaos sur le moment, qu’ils étaient dans le rouge absolu, aussi à cause d’artistes qui ont demandé des suppléments, qu’il a fallu utiliser des hélicos, ils ont quand même fait leur beurre après, en commercialisant la marque Woodstock ». On retrouve d’ailleurs Michael Lang, co-organisateur de Woodstock 69 dans cette non-édition du cinquantenaire.

Impossible aujourd’hui d’organiser un festival avec le même degré d’improvisation que celui de Woodstock en 1969. Tout est professionnalisé, budgété, le timing millimétré, la sécurité renforcée, le public plus exigeant… Tout ça met une pression folle sur les épaules des organisateurs.

Succession de tuiles

Alors, on ne sait pas si c’est un manque de prévoyance, ou une rocambolesque succession de malchance qui a contraint les organisateurs à annuler officiellement le 31 juillet le festival anniversaire. Ou un peu de tout ça. « Nous sommes tristes qu’une série de revers imprévus ait rendu impossible d’organiser le festival que nous avions imaginé », a déclaré, dans un communiqué, Michael Lang.

Les imprévus, ce sont surtout de successifs changements de lieux. Sous-dimensionné, inadapté, inassurable : aucun des lieux choisis n’avait reçu d’autorisation.

En plus de cette longue saga, les organisateurs ont connu des difficultés de financement. Un premier partenaire, Amplifi Live a retiré ses billes à 18 millions de dollars, puis la société de production Superfly a décidé elle aussi de mettre les voiles.

Avec toutes ces incertitudes, de nombreux artistes avaient déjà décommandé. C’est le cas de John Fogerty, Jay-Z, Miley Cyrus ou Santana. Payés d’avance, mais libérés de leur contrat par l’organisateur, qui les a encouragés à reverser une partie de leur cachet à une œuvre caritative.

Pourtant Fogerty jouera

Il existe pourtant des rassemblements commémoratifs chaque année les 15, 16 et 17 août, avec des concerts d’envergure à Bethel, lieu de l’édition originale… mais sans la marque Woodstock. Ainsi, au « Bethel Woods Center for the Arts », on commencera le 15 août avec une projection en plein air du film Woodstock : The Director’s Cut, on verra le 16 août Ringo Starr, le 17 août Santana et les Doobie Brothers, et le 18 août, c’est là que sera John Fogerty.

Le fiasco des autres éditions anniversaires

Il y a eu une première édition anniversaire pour les dix ans de Woodstock. Le 8 septembre 1979, au Madison Square Garden, à New York. Et, comme à chaque anniversaire, il y avait une programmation bien de l’époque, ainsi que des artistes présents lors du premier Woodstock, comme Canned Heat, Richie Havens, Stephen Stills… Pour les 20  ans, en 1989, le festival a eu lieu sur la plaine de Bethel, comme vingt ans plus tôt.

Si les deux premiers anniversaires se sont passés de manière relativement simple, et sans trop de promotion, les deux suivants ont été critiqués à cause de leur visée commerciale.

En 1994, pour les 25 ans, il y avait Joe Cocker, Cypress Hill, Metallica, Aerosmith, Sheryl Crow, Bob Dylan Green Day, Nine Inch Nails, Red Hot Chilly Peppers, Santana… Le prix du ticket d’entrée était fixé à 135 $ et vendus par pack de quatre uniquement. Les visiteurs étaient fouillés pour les empêcher d’entrer avec leurs propres boissons et nourriture. Mais après quelques heures à peine, ils ont été nombreux à forcer les barrières pour rentrer gratuitement. 164 000 tickets ont été vendus mais il y a eu plus du double de personnes sur le site. Et la sécurité s’est retrouvée très vite débordée.

Mais le plus gros fiasco, c’était en 1999. Il y avait notamment Limp Bizkit, James Brown, Rage Against the Machine, Megadeth, Alanis Morissette, Muse… et des barrières bien solides cette fois. Mais de nombreux incidents à l’intérieur. Météo torride, pas d’ombre, manque de commodités, d’eau et prix exorbitant des consommations ont sans doute contribué à échauffer les esprits… mais pas de quoi excuser les viols, agressions, feux et dégradations qui ont eu lieu.

En 2009, le Heroes of Woodstock Tour a rassemblé des groupes ou des membres des groupes présents à Woodstock 40 ans plus tôt lors d’une tournée de plusieurs villes aux États Unis : Ten Years After, Canned Heat, Jefferson Starship…

Des héritiers à l’esprit communautaire

C’est clair, Woodstock est un événement unique. On peut toutefois retrouver des points communs dans les festivals actuels avec l’ambiance du mythique festival. Pour Cédric-Jean Busine, journaliste musique à Pure FM, c’est le festival de Dour qui se rapproche le plus de la lignée Woodstock. « On a le sentiment de faire partie d’une république autonome autogérée. Il n’y a plus de barrières, tout le monde fonctionne avec des règles propres au festival. » En 2019, on ne peut plus vraiment parler de hippies, mais les festivaliers ont conservé un état d’esprit détendu. « En festival et particulièrement à Dour on profite de la vie, on se préoccupe moins des codes. » La preuve, les tenues vestimentaires très inventives de certains festivaliers. Enfin, même si on ne trouve plus vraiment de festival engagé politiquement, le journaliste note un respect des uns et des autres. « Esperanza ! notamment a lancé la campagne Démasquons nos privilèges ! pour défendre l’égalité dans la société. » Finalement, comme Woodstock, les festivals actuels rassemblent des gens qui veulent passer un bon moment entre amis à écouter de la musique.

Les autres grands rassemblements

Monterey

Le premier festival à incarner les valeurs de la contre-culture a été le Monterey Pop Festival du 16 au 18 juin 1967. Il a aussi lancé le « Summer of love », quand des milliers de jeunes ont débarqué de partout pour rejoindre les rues de San Francisco, dans l’espoir d’un monde meilleur.

Wight

Le Festival de l’île de Wight, dans le sud du Royaume-Uni du 30 août au 1er septembre 1968. Il a inspiré notamment Michel Delpech pour sa chanson Wight is Wight en 1969. Il a connu trois éditions : 1968, relativement modeste, 1969 où on l’a qualifié de Woodstock européen, et 1970 où, devenu aussi gigantesque qu’ingérable, il s’est arrêté. Avant de renaître en 2002. Il est déjà programmé du 11 au 14 juin 2020.

Altamont

Le 6 décembre 1969, les Rolling Stones organisent la réponse de la Côte ouest à Woodstock. Ça va complètement dégénérer. Le service d’ordre est assuré par les Hell’s Angels (qui n’étaient alors qu’un modeste club de motards), de nombreuses bagarres éclatent et un jeune spectateur noir de 18 ans est poignardé à quelques mètres de la scène, en plein concert des Stones. Beaucoup considèrent le festival d’Altamont comme la fin du mouvement hippie.

Pour en savoir plus

  • Le film de Michael Wadleigh, Three days of peace and music est rediffusé sur Arte ce vendredi à 22 h 50. Dimanche, La Trois a programmé celui de Barak Goodman, Woodstock : Three Days That Defined a Generation. (Woodstock, ils voulaient changer le monde).
  • En radio, sur La Première, tous les samedis de 10 à 11 h, le feuilleton Very Good Trip (en collaboration avec France Inter).
  • Mais le gros des émissions spéciales c’est sur Classic 21, qui en a fait le thème de son été : 60 Days of Peace and Music. Tous les jours à 8 h 45 et 17 h 45, les anecdotes de Walter de Paduwa en 1 min 30. Tous les samedis de 18 à 19h, Bethel Juice avec BJ Scott sur l’héritage musical de Woodstock. Ces vendredi, samedi et dimanche, Marc Ysaye proposera 3 émissions spéciales de ses « Classiques », de 9 à 11h.  Et sur Auvio.