Le retour à la nature animale
Et si nous étions nés avec des facultés exceptionnelles de coureurs de fond ? Certaines théories mettent en avant plusieurs avantages légués par nos ancêtres qui pointent vers une aptitude naturelle pour la course longue. Nous sommes les animaux les plus performants en termes d’endurance, chose qui compense notre manque de vitesse flagrant par rapport au reste des mammifères. Notre faculté de transpirer, nos tendons d’Achille, notre voûte plantaire, notre cage thoracique, nos yeux, notre nuque et bien d’autres éléments sont des témoignages de ce passé de nomade chasseur. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? La sédentarisation et l’hyper connectivité de nos sociétés nous ont éloignés de ce mode de vie, mais la machine, elle, est toujours là, avec quelque part dans son ADN tout un bagage enfoui. Dans un monde ou le dépaysement diminue, ou le temps ne se maîtrise plus, ou le sentiment de déplacement est brouillé, ou notre biomécanique est sous-exploitée et ou l’autonomie se perd dans nos sociétés supra-individuelles … Une discipline émerge : L’Ultra-Trail. Une réappropriation de soi en immersion sauvage, où le corps et l’esprit s’embarquent dans de longues concertations…
Sylvain, né pour courir
Sylvain, de Namur, est l’un de ces nomades modernes qui s’essaie au jeu de l’ultra-trail, cette course de longue distance. Vivez son aventure, avant, pendant et après. Départ pour la CCC (Courmayeur Champex Chamonix), une des courses de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc: 101km sur les sentiers escarpés des Alpes françaises. Agrémenté de conseils pratiques, de données et d’analyses, ce long format plonge dans ce phénomène qui connaît un engouement populaire fascinant, inquiétant pour certains puristes, réconfortant pour d’autres idéalistes et plein d’intérêts mercantiles pour certains professionnels
Pas à pas vers l’ultra
Un périple de cette trempe ne s’improvise pas et requiert un entraînement très volumineux et une accoutumance à la course bien ancrée. Tout ce travail démarre des mois voire des années avant, la régularité et le plaisir sont synonymes d’efficacité. En effet, pour éprouver son corps à de tels changements d’habitude, il faut non seulement être très progressif, mais aussi prendre du plaisir. C’est à vous de définir quelles fibres de ce sport vous donne le plus de bien-être et de vous bâtir une motivation personnelle sans faille, qui vous emmènera sur les sentiers de façon spontanée. Une fois dans cet état d’esprit, plus rien n’est en mesure de vous arrêter, si vous appliquer une écoute rigoureuse du corps qui est cruciale pour éviter les blessures. Ce jonglage entre corps et mental vous portera de façon fluide vers le long.
Sylvain lui, s’engage sur son premier 101 kilomètres montagneux, il suit un plan d’entraînement sur plusieurs mois, façonné pour cette course. Il court en communauté avec son groupe BioTrail et profite beaucoup de la nature et des liens qu’il a tissés avec ses camarades crapahuteurs. Tous ces petits « + » englobant sa pratique sont des éléments encourageants, des chances qu’il met de son côté. Il a déjà fait quelques longs en Belgique et en France, mais rien de cette ampleur !
Le décor et l’ambiance seront peu comparables à nos belles forêts et nos cimes ardennaises. On vous laisse juger :
Le phénomène: du marginal au populaire
La course de Sylvain jusqu’au départ
Entraîné, sélectionné et donc inscrit. Rien que de se tenir sur la ligne de départ constitue déjà un périple. Et tout est à faire ! Chamonix se transforme en capitale internationale du trail le temps d’une semaine. Époustouflante transformation aux allures de festival, un village marchand dédié s’installe sur la place, l’arche de départ trône fièrement devant l’église ouvrant la voie des premiers kilomètres dans les artères principales de la ville, sous l’œil écrasant du Mont-blanc trônant visiblement avec son air défiant.
L’allure de la ville témoigne du succès de l’évènement, une effervescence qui est palpable à chaque recoin. Ne vous étonnez-pas de croiser du monde en tenue de coureur dans les rayons du supermarché ! Sylvain a son dossard et se remue une dernière fois la veille (petit footing de 30 minutes). Le dernier repas du guerrier : pâtes complètes aux œufs. De ce côté-là, il n’y a pas de recettes miracles, chacun doit expérimenter pour trouver ce qui lui convient. Le départ de sa course se tient à Courmayeur en Italie. Après un sommeil difficilement serein et un petit-déjeuner qu’il n’arrivera pas à avaler, Sylvain se tient de l’autre côté du massif à quelques instants du moment tant imaginé, entouré de 2000 autres rêveurs des quatre coins du monde.
2008 : L’explosion de L’UTMB
La CCC (Courmayeur-Champex-Chamonix) est une course du désormais célèbre UTMB. L’UTMB (170km) naquit en 2003. Sur la première édition, 67 personnes sur les 722 partants de l’unique course rentreront à Chamonix après avoir bouclé le tour du massif du Mont-Blanc. Aujourd’hui on parle de 17 308 demandes d’inscriptions en 2017, pour 7314 places prévues pour les 5 courses !
Ses débuts se firent discrets, rassemblant quelques initiés pionniers, le tournant sera pris en 2008. Les deux dernières éditions avaient été gagnée par Marc Olmo, alors âgé de 58 ans, un ouvrier italien connu pour sa démarche particulière et son rythme de métronome. Un jeune fougueux dénommé Kilian Jornet, 21 ans, débarque cette année là de son cocon de champion de ski-alpinisme et d’entraînement en altitude pour rafler la victoire. Il porte la bannière Salomon et son personnage séduira les foules, balayant les certitudes que l’ultra-endurance était réservée « aux vieux coureurs ». Toute une génération talentueuse émerge alors, médiatisée par les marques d’équipements et les organisations sportives, pour devenir des figures d’identification inspirantes. L’UTMB semblent devenir l’un des point de passage obligé, vers ou les yeux se tournent, l’arène ou les titans s’affrontent et les talents inconnus émergent.
Courir ici pour courir là-bas
C’est le moment charnière du monde du trail, les courses dans le monde se multiplient autant que le nombres d’adeptes et de communautés. Une philosophie de solidarité et de rivalité saine englobe la pratique. La beauté du parcours devient un critère essentiel. Il y a un certain esthétisme qui surgit, à qui proposera la plus belle trace. Tous ces mécanismes engagent les foules à s’y essayer, la famille de l’ultra grandit, mais pas les sentiers ! Victime de son succès, les courses de l’UTMB ont été obligées d’initier un système de sélection des participants en 2009.
- Sylvain a du amasser des « points UTMB » durant l’année sur d’autres courses pour pouvoir prétendre à une inscription. Ce système permet d’accueillir des coureurs un minimum confirmé, et de faire vivre des courses satellites. Sylvain a gagné ses points en terminant le trail de Olne-Spa-Olne et le Marathon du Mont-Blanc durant 2017.
- Enfin, parmi tous ceux remplissant les conditions, un tirage au sort détermine les heureux élus. Cette année 2018 par exemple la CCC était complète à 184% avant le tirage !
- Les prix augmentent, pour la CCC que notre héros a parcouru en 2017 par exemple, le dossard atteint 143 € et augmente chaque année.
L’appel de la montagne
Le top départ libérateur laisse se déverser le torrent de coureurs dans la petite ville montagnarde, qui s’engage vers les premières hauteurs. Sylvain se trouve dans la deuxième vague, il affiche un visage concentré et empreint d’une euphorie palpable due à toute cette stimulation. Il embarque avec lui cet outil, ce repère : le profil altimétrique de la course, ou comment résumer en dix millions de centimètres en dix.
A Vallorcine, son genou le lance depuis déjà quelques kilomètres. En Ultra, la douleur est une compagne coutumière. La seule emprise possible sur cette douleur existe et se travaille : le mental. Chaque pas, le signal douloureux existe dans le cerveau de Sylvain, mais il faut le duper. Plusieurs techniques de préparation mentales existent pour dépasser la douleur. En voici quelques-unes :
- La relaxation : Se détendre, se relâcher, bien respirer contribue à économiser beaucoup d’énergie !
- L’imagerie mentale : Avant la course, cela consiste à emmagasiner des images positives, réconfortante et des sources de motivations dans sa mémoire. Ainsi, pendant les moments difficiles, on peut s’y replonger.
- Le discours interne : Auto-motivation, regagner sa confiance en soi en se parlant : « tu en es capable ».
- Switch sensoriel : Opération mentale consistant à transposer sa douleur dans des éléments externes au corps. « Tout le corps fait extrêmement mal. Mais il faut surmonter ça si tu veux finir. On va essayer de me ramener à la vie, je n’étais pas loin d’être mort là-haut. A un moment j’étais tellement à bout que je me suis évanoui. Je me suis vite réveillé, mais je n’avais aucune idée de l’endroit où j’étais … En fait mon tendon d’Achille me fait très mal. Et à un moment, c’est comme si toutes mes blessures, au lieu d’être dans mon corps, étaient devenues une personne. On marchait ensemble. Et il était vraiment lent …C’est fou …» témoigne Jared Campbell, finisher du Barkley Marathon.
- Bascules attentionnelles : Il s’agit simplement de focaliser son attention sur d’autres zones mentales que la douleur pour la duper. Musique, paysage, conversation, introspection, concentration sur la gestuelle, sur le parcours …
La CCC 2017 : 20% d’abandon, L’UTMB : 33%
Tout cela n’empêche pas d’avoir mal, mais peut être utile pour une meilleure « accoutumance » à la douleur. Les staffs médicaux sont aux aguets dans des épreuves de cette ampleur. Beaucoup de blessures sont à signaler et il est parfois difficile pour les médecins de devoir arrêter un coureur contre son gré, la décision sonne comme une sentence plutôt qu’un soulagement. Voici les types de blessures auxquelles causant les abandons sur l’UTMB chez les participants ayant consulté :
Motifs d'abandons sur l'UTMB
Source : Rapport de l’utmb (2009)
Un final clopinant et glorieux
Sylvain bravera ses douleurs tendineuses, pour arriver aux petites heures, victorieux, sur cette ligne tant attendue. Il est ému, et loin du temps imaginé. En ultra-trail, tout peut arriver. Anticiper sa course est nécessaire, mais il faut considérer que le déroulement de la course ne suivra jamais exactement le plan d’attaque prévu. S’adapter en temps réel sera toujours préconisé. Le voilà dans la grande famille de l’ultra.
L’atterissage
La voie de la régénération
Durant la semaine qui suivra, l’appétit et le sommeil prendront d’assaut le corps éprouvé. Il ne faut pas ignorer ses signaux. Vous dormirez et mangerez plus pendant plusieurs jours : c’est normal ! Les fibres musculaires lésées, les tendons qui crient… Tout cela prend du temps à remettre en état, souvent plus que l’on imagine. Redémarrer son entraînement « parce que l’on a plus mal » est peut être précipité car la fatigue est insidieuse et peut avoir un impact pendant plusieurs semaines.
Sylvain retourne à son foyer. Ce n’est pas toujours évident de combiner une telle passion avec sa vie. L’énergie déployée est immense. Il y a une chance que votre entourage considère cela absurde. Il y a parfois une non-compréhension des non-initiés. D’ailleurs le coureur lui-même n’intellectualise pas nécessairement ce qui le pousse à cet effort extrême, il le vit et l’expérimente. Pas besoin d’établir un discours sur l’explication d’un tel dévouement. Ce sont des regards échangés, des émotions partagées, des états de consciences, des contemplations et des découvertes profondes qui l’exprime le mieux d’eux-mêmes.