Depuis quelques semaines, un restaurant particulier à ouvert ses portes au 173 de l’avenue Louise. Tenu par une équipe majoritairement composée de personnes porteuses d’un handicap mental, le 65 Degrés propose une délicieuse cuisine gastronomique. Découverte.

Il est midi un peu passé quand on franchit les portes du restaurant 65 Degrés, au 173 avenue Louise à Bruxelles. Une douce odeur se dégage de la cuisine au cœur du restaurant. Le chef et son second s’affairent pour terminer les derniers détails du service qui se prépare. « Tout doit être parfait », lance Nicolas Titeux, le chef, à haute voit alors qu’à ses côtés Steven termine de découper quelques carottes.
À première vue, rien ne diffère ce restaurant gastronomique de ses illustres voisins de façade de la belle artère bruxelloise. C’est Marie-Sophie qui nous accueille avec un large sourire. « Vous avez réservé ? »

C’est qu’ouvert depuis à peine une semaine, le nouvel établissement, qui doit son nom à la température à laquelle cuisent les œufs parfaits, est complet quasiment tous les midis. « Et pour quelques semaines encore », lancent tout sourire ses fondateurs. Au 173 de l’avenue Louise, les médias se succèdent également pour évoquer ce restaurant un peu particulier. « Parce qu’il est géré par neuf personnes, dont six extraordinaires », glisse Adélaïde Aymer de la Chevalerie, une des fondatrices. Dans le petit établissement de la prestigieuse avenue bruxelloise, l’équipe fonctionne en effet notamment grâce à Tristan, Steven, Dimitri, Rodrigo, Nathalie et Marie-Sophie, six personnes en situation de handicap léger ou moyen. Ils sont entourés de Massimo, le chef de salle, Nicolas, le cuisinier en chef et Antoine, son second.

L'équipe du 65 degrés

L’idée de ce restaurant a germé il y a plus d’un an déjà dans les quatre têtes de ses fondateurs. C’est le Reflet, un restaurant inclusif aux valeurs identiques installé à Nantes, qui leur a donné l’envie de lancer ce projet particulier. « Derrière celui-ci, nous sommes deux couples, en quittant Nantes d’où nous sommes originaires avec mon compagnon, j’avais ce projet dans un coin de la tête, raconte Adélaïde. En arrivant en Belgique, nous avons rencontré Laure et Valentin et nous nous sommes dit qu’il fallait se lancer. Un an et demi plus tard, le projet est déjà sur les rails. Le restaurant est ouvert. Nous avons fait une levée de fond, trouvé un lieu idéal, effectué le recrutement des personnes ordinaires et des personnes extraordinaires. Et désormais nous sommes déjà à la recherche de deux personnes supplémentaires pour compléter notre équipe. »

Et depuis son ouverture, le restaurant, qui compte une trentaine de couverts et n’ouvre, pour l’instant que les temps de midi en semaine, affiche une belle fréquentation. « Et les clients semblent tous repartir satisfaits, se réjouit la fondatrice. Les retours sont très chouettes. Les gens semblent vraiment prendre du plaisir à venir découvrir notre établissement. »

Ce vendredi, Marie-Sophie qui ne devait pas venir travailler a décidé de venir prêter main-forte à ses nouveaux collègues. « Mon horaire a changé et j’étais donc disponible, précise celle qui s’occupe d’accueillir les clients. C’est tellement chouette de venir travailler ici. C’est un projet avec de très chouettes valeurs. La cuisine du chef ? Je trouve qu’on ne la goûte pas assez à mon goût (rires). »

« On adore bien manger »

En s’installant sur l’avenue Louise, les fondateurs du projet ont d’emblée mis la barre assez haut. Entre la Villa in the Sky, Rouge Tomage ou L’Atelier de la Truffe Noire, la concurrence est dure. L’équipe ne se cache d’ailleurs pas. Elle compte bien rivaliser avec ses illustres voisins et propose une cuisine gastronomique. « D’abord parce que personnellement, avec les autres fondateurs, on adore bien manger, sourit Adélaïde. Dans notre cas, le niveau de gastronomie valorise en plus le handicap. Aujourd’hui, c’est un vrai sujet parce que trop souvent on assimile le handicap à une asbl, à un centre de jour, de l’occupationnel, etc. On ne l’assimile pas à un boulot comme la gastronomie. Parce qu’il est difficile et exige et qui demande une forte concentration. Si on arrive à démontrer que dans un restaurant gastronomique, on arrive à employer des personnes porteuses de handicap, alors, nous aurons gagné notre pari. Si nous sommes capables de le faire dans un cadre difficile, alors d’autres le sont aussi. Honnêtement, je le vois au quotidien. Travailler avec eux, c’est une adaptation différente, c’est une façon de communiquer qui est différente, c’est une appréhension du temps qui est différente, mais c’est tellement enrichissant. »

Pour l’instant, Marie-Sophie, Steven, Rodrigo et compagnie travaillent essentiellement en salle. « Mais ils sont petit à petit intégrés en cuisine », précise le chef. Certains sont d’ailleurs arrivés avec une petite formation, d’autres découvrent totalement les coulisses d’un restaurant et d’une cuisine. « Mais finalement cela ne change pas grand-chose, reprend Nicolas Titieux qui a travaillé dans plusieurs brigades de restaurant étoilé à Bruxelles et en France. Ils sont tout aussi capables d’effectuer les différentes tâches, il faut juste prendre en compte que cela prendra sans doute un peu plus de temps, mais ils sont tous très volontaires. Le projet veut malgré tout rester à taille humaine. C’est pour cela que notre menu est réduit à trois services, avec deux propositions par plat. On veut faire bien les choses, avec de bons produits. »

Dans l’assiette, le 65 degrés propose donc un menu unique deux ou trois services, avec la possibilité de choisir entre deux propositions. La carte change toutes les deux semaines. « Avec une base française, mais des influences venues d’ailleurs », précise le chef.

Au cœur du restaurant, le service bat son plein. Comme dans un restaurant gastronomique, la tension est palpable. On sent que toute l’équipe est déterminée à livrer un nouveau service sans fausse note. Chef de salle, Massimo veille au grain, surveille que chaque petit détail soit parfait. « On ne veut pas se servir du handicap comme d’une excuse, insiste-t-il, au contraire, nous voulons mettre la barre encore plus haut. Je suis très exigeant et je reste dans les critères classiques d’un établissement gastronomique. Mais contrairement aux autres restaurants traditionnels, nous avons un sacré bonus : un côté humain exceptionnel. Ici, personne ne se force à sourire. C’est simplement naturel. »

Infos pratiques :

  • 65 Degrés Avenue Louise 173 – 1000 Bruxelles

  • Ouvert du lundi au vendredi de 12 à 14 heures

  • 34 euros pour deux services, 39 pour trois et 28 pour un plat unique

  • Plus d’infos : www.65degres.be

« Vous pouvez mettre la barre haute, leur humilité vous rattrape tous les jours »

L’Avenir : Adélaïde Aymer de la Chevalerie, si le projet du 65 Degrés est une asbl, il y a malgré tout derrière celui-ci une véritable ambition de rentabilité ?

Tout à fait. Nous sommes peut-être une asbl, mais avec une forte volonté de rentabilité. Pour deux raisons. Parce que tout d’abord l’objectif est de démontrer que c’est possible, qu’engager des personnes handicapées est rentable. La deuxième est que nous cherchons à embaucher et que si nous ne sommes pas rentables, il ne sera pas possible de le faire.

Quels sont les premiers échos des clients ?

Ils sont globalement hyper contents. Nous avons la chance d’avoir une très belle clientèle. Elle a une approche différente d’un autre restaurant, mais ce n’est pas pour ça que nous faisons n’importe quoi, au contraire. Nous avons beaucoup de chance de pouvoir travailler de la sorte.

Est-ce que certaines adaptations ont dû être effectuées par rapport à un restaurant traditionnel ?

Un seul : le facteur temps. Ils mettent simplement plus de temps à faire les choses. Nous devons aussi veiller à notre communication. Nous devons être très précis dans ce que nous demandons, sinon ils nous comprennent plus difficilement. Pour le reste, nous sommes un restaurant traditionnel.

Pour l’instant, votre établissement est uniquement ouvert le midi, voyez-vous déjà plus loin ?

Nous avons d’abord voulu prendre nos marques. Les jeunes ont des problématiques de transport, d’organisation familiale, d’autres activités, mais nous réfléchissons à également ouvrir le soir. Nous avons énormément de demandes.

Le choix d’ouvrir le long de l’avenue Louise n’est pas anodin…

Il confirme que notre objectif de faire connaître notre projet et nos ambitions. Sur cette avenue, nous allons surtout toucher une clientèle de décideurs et de recruteurs. Ils viendront plus facilement ici que dans un quartier plus reculé. C’est en plus une très belle adresse qui met la barre haute. Mais vous pouvez mettre la barre aussi haute que vous voulez, vous êtes tous les jours rattrapé par leur humilité du quotidien.

Comment s’est effectué le recrutement ?

Nous avons tout simplement fait une grosse journée de recrutement. Nous les avons tous reçus. Via les asbl qui font du recrutement pour ces jeunes, nous les avions déjà tous croisés et cela s’est très bien passé.

Les jeunes effectuent-ils des stages ? Sont-ils engagés sur le plus long terme ?

Ils effectuent tout d’abord un stage découverte de dix jours. Il s’agit d’une sorte de période d’essai qui permet aux deux parties de voir si on s’entend bien, si le projet leur plaît, s’ils ne sont pas trop fatigués, si les parents sont en phase avec le restaurant, etc. On rentre ensuite dans une période d’un an qui est un contrat d’adaptation professionnel. Désormais, ils sont rémunérés et bénéficient d’un salaire, et pas un petit salaire. C’est le premier pas. Après une année, l’objectif sera de les engager avec un contrat plus classique, un contrat comme vous et moi.

Combien de temps travaillent-ils par semaine ?

Tristan est celui qui travaille le plus. Il est présent cinq jours par semaine, six heures par jour. Les autres travaillent trois ou quatre jours par semaine.

Un an et demi après le début de l’aventure, quel premier regard portez-vous sur celle-ci ?

C’est forcément très très chouette de le voir déjà réalisé, mais désormais, nous ne sommes qu’au début de cette aventure justement. C’est maintenant que tout commence réellement. Avec l’engouement de la presse, nous sommes complets pour les trois prochaines semaines, mais après il faudra ensuite transformer l’essai, que la cuisine et le service demeurent à un niveau très haut et continuer de grandir évidemment.