Ce mercredi 1er février 2017, les brasseries Haacht, Alken-Maes et AB InBev augmentent leurs tarifs en ce qui concerne le prix de la pils. La hausse va de 0,014 à 0,018 euro par verre. Certains cafés ne la répercuteront pas. Reportages à Bruxelles, en Brabant wallon et en région verviétoise.

Bruxelles

«La pils est un produit de luxe : à moins d’1,80€, c’est impossible»

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La pils augmente ce 1er février. Comme d’habitude, les cafetiers rognent sur leurs marges. Certains tentent de lutter, mais ça devient dur. À Ganshoren, Daniel avait trouvé la parade avec son Anticrise à 1,20€. Mais est « découragé ». Au Supra Bailly, le 25cl le moins cher d’Ixelles a augmenté pour la première fois en… 12 ans!

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Ganshoren, heure de l’apéro. À La Vue de Bruxelles, le JT d’RTL n’a aucun mal à surmonter les conversations des clients. Et pour cause : ils ne sont pas 5 dans ce petit café à l’ombre de la Basilique de Koekelberg. « C’est anormalement calme », souffle Dan Bauweraerts, les coudes sur son comptoir. Un couple d’habitués feuillette un tabloïd flamand. « Pour chaque addition, ils comptent leur monnaie. Ils ont un budget qu’ils ne dépassent pas ».

Comme ses confrères, le tenancier va voir son fût augmenter ce 1er février. InBev comme Alken-Maes salent la facture. C’est pas ça qui va ranimer le bistrot. « On est à 1,80€ depuis 3 ans. Plus bas, on ne saurait plus. Alors on rogne sur les marges : les gens sont tellement serrés. À ce prix-là, on est loin de la chope de l’ouvrier! », tempête le patron. « Ce qu’je pige pas, c’est qu’ils matraquent les promos en supermarché. C’est 1 bac + 1 gratuit toute l’année ».

Une bière anticrise à 1,20€ : « ça a duré 3 ans »

Ce tarif scandalise le tenancier. « C’est une concurrence déloyale ». Il tapote sur sa calculette, dépité. « Sur base de 180 bières par fût, à 12€ le bac, on en est à 96€. Pourtant, moi je paye 123€! Mais avec le bac, y a plus de travail, les bouteilles, les étiquettes à coller… Le fût, il est tout nu. On devrait être en dessous des 90€! », peste Dan. « Les clients m’accusent : “3,30€ ta Leffe?! T’as vu le prix au Colruyt?!” Mais moi j’ai 53 ans, je vais pas courir au Colruyt tous les soirs à 18h pour remplir le coffre de casiers, hein! »

Pendant 3 ans, la Vue de Bruxelles avait trouvé la parade. Des pompes y coulait l’Anticrise : une pils à 1,20€ arrivée de France. À l’époque, Dan la payait 49,90€ le fût, soit la moitié du prix pratiqué par InBev. « J’étais super satisfait. Mais le petit brasseur qui me l’amenait a arrêté ». Dan est repassé à la Jupe, « découragé ». Dont le fût a grimpé de plus de 25€ en 5 ans tout juste. « En Belgique, ils se tirent à la hausse. Et qu’est-ce qui justifie ce prix ? Le houblon ? Les céréales ? Trouver une bière à 1,20€, c’est impossible sans frauder. Ces cafés qui servent à 1,40€, voire 1€ : le mec, il gagne quoi ? »

«  J’ai déjà bu quelques hectolitres ici »

Daniel Bauweraerts reste seul alors que le JT se termine. «Ça va revenir vers les 16h. Les mecs du bâtiment, les livreurs, les pensionnés, ils ne peuvent plus se permettre une petite pause au bistrot. Si la pils passe à 1,90€, ça deviendra vraiment un produit de luxe! »

Produit de luxe, la pils ? Pour le savoir, direction le Châtelain, quartier huppé de boutiques tendance où les eurocrates et les expats français font le marché en SUV allemands. Certains s’arrêtent au Supra Bailly. Mais la clientèle de ce café iconique d’Ixelles aux boiseries typiques, c’est surtout l’étudiant, le commerçant du quartier et le bobo bruxellois. Il gèle ce matin-là mais, à la terrasse, des mains en mitaines remplissent des carnets en tirant sur des roulées.

Au comptoir, Xavier et Jimmy vident leur deuxième verre côtelé. « Je viens tous les jours depuis 15 ou 20 ans. J’ai déjà bu quelques hectolitres ici », glisse l’un. «L’ambiance, le décor : l’important dans un stam, c’est ce que tu ressens. On n’est pas à 30 centimes! Je pense que je viendrais encore même si la pils augmentait à 2,50€ ».

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La pils à 1,50€ : terminé depuis 6 mois

Ce qui n’est pas près d’arriver : la légende du Supra s’est construite sur le prix plancher de son 25 cl : 1,50€! Un tarif dément pour le quartier. La chope n’avait pas pris un centime depuis… 12 ans (!) quand elle a sauté à 1,70€ il y a 6 mois, « mais c’est dégressif avec le 33 ou le 50 ». Les clients en parlent encore. « Je vends beaucoup. C’est pour ça que je peux me permettre de ne pas répercuter les augmentations d’InBev », confie Christophe Melahrinidis, le jeune patron. « Je dois vider une vraie vingtaine de fûts par semaine, été comme hiver. Mais c’est vrai que pour les cafés qui tournent à 2 fûts, des prix comme ça sont impossibles ».

Un produit d’appel, la pils bradée ? « On me dit que non. Mais c’est clair : les gens savent que la bière est pas chère au Supra. Et c’est parce que les prix restent les mêmes que ça marche ». Évidemment, la Duvel ou les locales de la Senne ou du Beer Project ne sont pas bloquées, elles, ce qui compense.

La mentalité du quartier, aussi, n’épargne pas les barmans du Supra. « Ici, les gens sortent pour boire un verre entre potes. Même si c’est moitié prix au casier dans le supermarché d’en face. Sa concurrence est là, c’est clair. Mais j’ai la chance d’avoir un vieux café dans un bon quartier, ouvert 20h par jour : ça rétablit la balance », concède Christophe Melahrinidis. « Ceci dit, si le sucre augmente, personne n’en parle mais il augmente quand même. Par contre, la Jupe, tous les clients m’en causent… »

Pas de raison toutefois de faire couler au Bailly une pils comme l’Anticrise de Ganshoren. « Jamais pensé à ça, non. Mes chiffres sont stables ». Un peu moins peut-être que les soiffards du matin, qui tanguent sur leurs tabourets.

La justification des brasseurs : saugrenu ?

Dès ce premier février, les gros brasseurs belges augmentent donc le prix au litre de leur pils vendue en Belgique. C’est le cas chez le leader mondial AB InBev, mais pas seulement.
Chez AB InBev (Jupiler, Stella, Safir), cette augmentation se chiffre à 0,014€ par verre dans les cafés et 0,015€ dans le commerce, soit 37 centimes par bac. Chez Alken-Maes (Maes, Crystal, Cara), l’addition est dopée de 0,136 par chope. Chez Haacht (Primus) enfin, on gonfle de 0,018€ par verre, 0,58€ par casier et 3,79€ par fût. Cette dernière brasserie augmente par ailleurs ses autres bières (Tongerlo, Mystic…) de 3 % en moyenne.

AB InBev justifie cette « hausse nécessaire » par « le financement des investissements à long terme sur le marché belge ». Le géant brassicole explique aussi que « le consommateur boit moins de pils et cherche plus de diversité et de bières spéciales ». On remarquera au passage que le portefeuille d’InBev ne manque ni de l’un ni de l’autre puisque Leffe, Hoegaerden et Belle-Vue en font partie, mais aussi Kwak ou Tripel Karmeliet.

Chez Alken-Maes, la justification semble encore plus saugrenue. L’entreprise qui produit aussi la Grimbergen explique « les investissements croissants nécessaires pour pouvoir continuer à soutenir le secteur horeca, qui est fortement sous pression ». On laissera aux cafetiers le loisir de décoder ce discours marketing.

Diane Delen, présidente de la Fédération des cafés de Belgique, ne s’en prive pas. «Le prix de la bière qui augmente et les accises sur l’alcool viennent s’ajouter à un secteur déjà sous pression. Vous devrez bientôt payer 5€ pour une chope dans un café alors que le salaire, lui, n’augmente pas en conséquence », plaide la représentante des tenanciers.

20,5 %

des faillites de janvier à mai 2016

Et la fédé d’aligner les chiffres.
879 établissements ont déposé le bilan en 2016 soit c’est 4% de plus qu’en 2015. Par ailleurs, l’horeca représente 20,5% des faillites de janvier à mai 2016. Au total, ce sont 1812 personnes qui ont perdu leur emploi dans le secteur sur les 5 derniers mois de 2016.

Bien sûr, le climat post-attentat ou la boîte noire expliquent aussi ces statistiques. Mais le Syndicat Neutre pour Indépendants abonde. « D’une enquête du SNI, il ressort qu’à peine un tiers des établissements horeca (31 %) vont imputer cette augmentation de prix aux clients même si nous conseillons de le faire tout le temps », explique Sven Nouten, porte-parole. « En d’autres termes, les marges bénéficiaires des établissements horeca vont boire la tasse ».

Ottignies-Louvain-la-Neuve

Les prix sont maintenus à La Chope

Le café La Chope installé dans l’ancien village de Blocry à Ottignies est un établissement familial. Martine Augurelle pris la succession de ses parents, Lucienne et André.

Le café « La Chope » est ouvert depuis octobre 1974 : «Mes parents ont tenu l’établissement jusqu’au 30 juin 1992. J’ai repris le 1er juillet 1992. Nous fêterons nos 25 ans en juillet cette année#1 », signale Martine, la patronne de l’établissement. Le prix d’une bière de 25 cl au café tournait autour de 20 FB (50 cents) au milieu des années ’70. Il est aujourd’hui d’1,70 € à La Chope. Il ne sera pas modifié par la hausse du prix de la bière : « J’ai décidé de ne pas augmenter le verre de bière. Je ne suis pas dans un centre-ville ou sur un lieu touristique. J’ai une clientèle fidèle à laquelle je ne voulais pas faire subir l’augmentation du prix, même si je ne pense pas qu’une augmentation aurait une influence sur la fréquentation du café. Lorsque j’ai des groupes de marcheurs, ils m’indiquent que les bières spéciales ne sont pas chères, ils laissent parfois un pourboire ou sont tentés d’en prendre une deuxième. Il y a encore pas mal de bistrot dans les environs qui pratiquent des prix identiques aux miens#1 », indique Martine Augurelle.

Pierre, un client, ne comprend pas l’augmentation imposée par les brasseries : «Cette augmentation n’est pas normale. Le prix de la matière première, l’orge et le houblon, ont baissé», lance-t-il.

La patronne ne pense pas changer de brasserie suite à l’augmentation : « #3Je ne suis liée à aucune brasserie. Je suis livrée en direct d’Anderlecht par Invbev. Il ne serait pas intéressant de changer de brasseur».

La Chope et un café de village, comme il y en avait beaucoup il y a quarante ans : «La clientèle a difficile à se renouveler. Elle a diminué au fil des années. Je n’ai pas beaucoup de jeunes clients. Il faut avouer que je n’ai pas de quoi les attirer. Je n’ai pas de billard, pas de jeux. J’ai une clientèle d’habitués, certains viennent pratiquement tous les jours d’ouverture (le café est fermé le mercredi et le jeudi). Je privilégie la convivialité. Lorsqu’un client passe la porte, il sait que c’est moi qui l’accueillera». «C’est un bistrot agréable dans lequel il n’y a jamais eu de problème, la patronne est sympa et même que les gens qui fréquentent le café», souligne Paul, un client.

Il n’y a pas de concurrence avec les brasseries des centres commerciaux : «Cela ne nous fait aucun tort. Au contraire, certaines personnes qui vont à l’Esplanade repasse boire un verre ici».

Région verviétoise

Ster : 1,50€ la bouteille

 

Le leader mondial de la bière AB InBev a prévu d’augmenter le prix de la pils ce 1er février. Mais à Ster (Stavelot), le café Bertrand résiste toujours.

Quand on rentre dans le café Bertrand, au cœur du village de Ster, on a l’impression de retourner dans le passé. Le café était là avant l’église, «il y a plus de cent ans!», assure Gaston Bertrand. Ses parents et grands-parents ont tenu le café avant lui, qui l’a cédé à sa fille Josiane et son beau-fils Alain Servaty. Si Gaston se rappelle bien des Américains qui sont venus se chauffer dans le café lors de l’Offensive von Rundstedt, ce sont plutôt les courses du circuit de Francorchamps qui ornent les murs.

Un café dans lequel Josiane et Alain reçoivent aujourd’hui «principalement des habitués, ou, quand il y a neige, quelques promeneurs qui viennent boire un vin chaud». Sans oublier les amateurs de courses automobiles qui viennent une fois par an boire un verre au café Bertrand. «Il y a beaucoup de Flamands. Et il y a des Hollandais qui viennent chaque année à la F1, se prennent en photo dans le café et l’apporte dans un cadre l’année suivante!», raconte Josiane Bertrand. Le café, ouvert uniquement pendant les week-ends et les vacances, accueille aussi parfois les pilotes du coin, comme Marc Duez.

«Pas arnaquer nos clients»

À côté du vin chaud et des bières spéciales, chez Bertrand, on boit généralement de la Jupiler. Mais pas de fût derrière le bar, ce sont directement des bouteilles qui sont servies aux clients, avec ou sans verre. En vendant la bière à 1,50€, le café Bertrand est sans doute le moins cher de la région. Et les patrons n’y voient pas l’augmentation du prix de la bière d’AB InBev de ce 1er février d’un bon œil… «Nous n’allons pas augmenter ce 1er février, affirme Alain. Nous ne savons pas exactement à combien elle va être non plus.»

«Quand j’ai repris le café, il y a 5 ans, elle était à 1,25€, donc nous avons quand même augmenté depuis.» Graduellement, la bière est passée à 1,30€, puis à 1,40€ et 1,50€ il y a deux ans. «On augmenterait même de dix cents que les clients ne diraient rien… Mais on ne veut pas les arnaquer non plus. On trouve que c’est déjà suffisamment cher.» Il faudra encore attendre quelques hausses de prix de la part d’AB InBev pour que le café Bertrand se décide à faire de même. «Et ailleurs, à combien est-elle?», questionne le couple. En région liégeoise, il faut compter au moins 2€, voire 2,20€ pour déguster une petite mousse. «2€, c’est 80 francs belges! Quatre billets de 20 pour une bière!», s’insurge Alain. « Ici, les gens aiment bien payer une tournée. Imaginez, 20€ pour une tournée de 10 personnes… Ça ne va pas…», ajoute son épouse.

Et si AB InBev continue à augmenter, cela pourrait signer la perte du groupe, estiment-ils. «Les gens passeront à une autre bière. Les gens vont finalement regarder au prix plus qu’au goût. Le goût, c’est une question d’habitude.»

Mais comment fait le café Bertrand pour continuer à survivre sans suivre cette hausse de prix? «On gagne moins, fatalement, si la bière augmente et qu’on laisse au même prix. Mais on ne donne pas de location aussi. S’il y avait une location de 1000€ par mois, ce serait différent.» Le couple tient une ferme en parallèle du café. Et comme ils n’y travaillent qu’eux deux, sans employé, le coût est moindre.

Pas que de la bière

Pour attirer les clients, en plus de la bière pas chère, Josiane Bertrand propose un menu un week-end par mois, qu’elle cuisine elle-même, du potage au dessert, avec des produits du terroir.

Une petite épicerie jouxte aussi le café, appartenant également à la famille Bertrand. Mais elle n’est plus aussi fournie qu’auparavant, explique Josiane.

«Mes parents, eux, étaient là tout le temps, mais pas moi. Elle est ouverte en même temps que le café.» Pas de produits frais dans les étalages, mais des boissons, chips et autres confiseries.

Stembert «Du luxe de boire une bière dans un café»

À la Taverne du Perron à Stembert, on a, comme dans les autres cafés, du mal à digérer une nouvelle hausse du prix de la bière.

Mais ce n’est pas pour autant que Cédric Spiroux va répercuter cette hausse sur ses clients. «Je ne vais pas augmenter le prix de ma bière ce 1er février. Je l’ai augmenté il y six mois de cela et la bière est désormais à 2€ pour 25 cl. Et encore, nous sommes clairement en dessous du seuil de rentabilité pour une bière à ce prix-là!»

Pour Cédric Spiroux, «il n’y a qu’un groupe qui mène la danse (NDLR: AB Inbev). Les clients demandent principalement une Jupiler ou une Stella. Il existe des alternatives via d’autres marques mais les clients sont moins demandeurs et donc nous vendrions moins au final. Le marketing joue et cela est donc très difficile de négocier des prix au rabais avec ces grands groupes brassicoles. Mais il est sûr que cela devient du luxe de pouvoir boire un verre dans un café. Car il ne faut pas oublier que les gens ont un pouvoir d’achat qui diminue aussi au fil des ans. Avant, on allait une fois au restaurant par semaine. Maintenant c’est une fois par mois. Le secteur de la restauration et les cafés sont les premiers plaisirs qui sautent car cela n’est pas vital.»

Enfin, pour le patron de la taverne du centre de Stembert, cette hausse va donc inciter les personnes à consommer plus à domicile. «Nous avons une forte concurrence des grandes surfaces avec des casiers à 2 + 1 gratuits par exemple. Cela incite malheureusement les gens à rester chez eux car le prix est moindre. Et cela ne va pas dans le bon sens car il y a une perte indéniable au niveau des contacts humains. Et cela nous attriste! Dans un café de village comme ici, les gens discutent ensemble autour d’un bon verre. Et c’est nettement plus convivial que de rester chez soi devant sa télévision. »

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