Lilli Ceraulo est considérée par certains comme la papesse du cigare. Elle possède une connaissance immense de ce produit et de son monde. Rencontre

Lilli Ceraulo a une relation particulière avec le cigare. Elle en parle presque comme d’un objet sacré avec lequel elle entre véritablement en communion. « Je ne sais pas si c’est moi qui ai adopté le cigare ou si c’est le cigare qui m’a adopté », dit-elle d’emblée. Toujours est-il qu’elle a une connaissance très pointue du milieu, qu’elle est une référence en Belgique et que son avis est sollicité par bon nombre d’entreprises du secteur.

Une femme dans le monde assez macho du cigare, ça peut étonner. « Oui et non, répond Lilli Ceraulo. Chacun va vers les choses qui lui parlent en fonction de ses sensibilités, sa découverte des choses. J’ai toujours été extrêmement bien accueillie par les amateurs de sexe masculin et quand on est ensemble, il n’y a vraiment que le cigare qui importe. »

Pour elle qui est une habituée de différents clubs de dégustation, ceux-ci permettent des découvertes incroyables. « Le monde du cigare est un monde de partage. On y rencontre des gens de tous les horizons, de toutes les conditions sociales. C’est par eux que j’ai fait de superbes découvertes, surtout dans le domaine artistique. » Le cigare n’est pas réservé à une élite et elle en est heureuse. « J’aime particulièrement ce mélange social parce qu’on apporte chacun quelque chose, on échange vraiment, on est complémentaires, c’est très riche ».

Dans les clubs, le nombre de femmes augmente régulièrement et de plus en plus de jeunes, dès la vingtaine d’années, s’y présentent aussi. Des clubs où le rituel est souvent le même : « Ça se déroule autour d’un repas. On déguste un cigare à l’apéritif et un autre après le plat. Dans certains clubs, on invite aussi un conférencier qui vient exposer un sujet relatif à notre passion. » Un moyen d’accéder à la sérénité.

Mais elle, que fume-t-elle ? « Je sais que certains amis apprécient fumer un cigare dès le matin, avant le petit-déjeuner, parce qu’à ce moment le palais est encore “vierge” et permet de mieux appréhender certains arômes. Le matin est pour eux un moment privilégié. Moi, j’aime fumer le soir. En règle générale, dans ma vie active, je préfère ce moment parce que ça me pose. Ça me remplit de sérénité, ça me met en connexion avec la nature.

Quand je choisis un cigare, je suis d’abord attirée par la couleur de la cape, j’aime qu’elle soit un peu ambrée, un peu huileuse. J’aime aussi la rondeur d’un cigare, qu’il soit souple mais pas trop et je suis fort sensible aux arômes. » Mais, le plus important, Lilli Ceraulo apprécie le moment : « J’adore la sérénité qui entoure la dégustation. Jamais, on ne va croiser le fer quand on fume un cigare ! »

4 temps forts

Découper

Avant toute chose, pour savourer un cigare, il faut lui couper la tête ! Pour ce faire, on humecte légèrement celle-ci en la mettant en bouche. Puis on coupe. On revient de plus en plus à une coupe ancienne, en V, mais la coupe traditionnelle se fait plutôt avec ce qu’on appelle une guillotine que l’on place le plus près possible de la tête du cigare afin d’ôter juste la petite feuille de protection sans abîmer la cape du cigare. Sur certains cigares dont la tête a une forme d’obus (appelés figurados), l’endroit de la coupe détermine la quantité d’air que le cigare laissera passer. Plus la coupe sera réduite, plus le cigare semblera fort.

Allumer

L’allumage est un moment important. Le véritable aficionado (amateur de cigare) préfère allumer sa vitole avec une grande allumette mais de plus en plus, c’est le briquet torche qui s’impose. Un mot d’ordre : bannir les bougies ou briquets à essence dont les odeurs pourraient dénaturer le goût du cigare. On place la flamme à quelques centimètres du pied du cigare et on la fait tourner de façon à enflammer le bord. Ne jamais allumer au centre sous peine de chauffer le conduit et de brûler les arômes. Vous pouvez alors porter le cigare en bouche, tirer tout en continuant à allumer. Enfin, souffler légèrement sur la cendre jusqu’à ce qu’elle devienne bien rouge.

Déguster

La tête coupée, le pied allumé, il vous reste maintenant à profiter longuement de votre module. Aspirez doucement la fumée dans votre bouche, laissez-la y séjourner quelques secondes avant de la rejeter, par la bouche ou par le nez, mais ne l’avalez surtout pas ! Peu à peu, vous découvrirez des goûts, des arômes qui vous sont familiers : bois, fruits, cuir… Le cigare se déguste lentement, n’enchaînez pas les bouffées ! Profitez, examinez l’évolution de la cendre (grise, blanche…) ou de la fumée. Arrivé au dernier tiers, il vous faudra peut-être dégazer votre cigare pour éliminer la nicotine et le goudron de sa tête. C’est une technique qui s’apprend très vite !

Terminer

Quand la cendre atteint la bague du cigare, certains considèrent que celui-ci est bon à jeter. D’autres retirent cette bague et continuent leur dégustation jusqu’au tout dernier moment. C’est une question de goût, rien d’autre, même si certains considèrent comme un sacrilège le fait d’ôter la bague, sous prétexte qu’on a atteint alors le « purin » du cigare. Quoi qu’il en soit, quand votre module est terminé, ne l’écrasez pas vulgairement dans un cendrier. Il vous a donné du plaisir pendant un bon moment, il mérite donc d’être respecté. Déposez-le simplement et laissez-le s’éteindre doucement…

Le cigare, pour les femmes aussi

L’image du cigare était énormément liée à celle du luxe. Il apparaît de plus en plus associé à la détente, le plaisir, le partage. Il commence à séduire les plus jeunes… et les dames !

Oubliez certains préjugés à propos du cigare ! Non, ce n’est pas vraiment un produit de luxe réservé à une élite. On déguste la vitole à tout âge et partout. Comme l’explique Philippe Vanderbruggen, mieux connu sous l’appellation “le Roi du Cigare à Bruxelles” : « Le cigare c’est vraiment tout horizon. J’ai des très jeunes qui viennent en acheter, pour lesquels je dois vérifier l’âge sur la carte d’identité. Ou des dames qui, parfois timides, disent venir pour leur mari mais qui ensuite avouent que c’est pour elles. Ce n’est vraiment pas un produit ringard, il touche l’ensemble de la population, toutes les classes, aussi bien des gens très aisés que des SDF – j’ai dans ma clientèle un SDF qui vient régulièrement – parce qu’on trouve des cigares dans tous les prix. »

Mais il ne faut surtout pas confondre cigares et cigarettes, deux mondes bien différents. « Le cigare est un produit de bouche, un moment de détente, de partage. » On peut comparer ce dernier à un bon vin, un bon alcool. On ne fume pas le cigare, on le déguste. Parfois seul, souvent entre amis. Et c’est un véritable moment de détente, de partage, de plaisir, hors du temps.

On prend la peine de savourer sa vitole, de rechercher les arômes qu’elle décèle, on examine la fumée et la cendre qui peuvent être révélatrices de la qualité du cigare dégusté. Le Roi du Cigare confirme : « Comme pour les bons vins, on a des millésimes dans certaines gammes de cigares. On parle de vieillissement, certains bonifient avec le temps, révélant d’autres arômes avant d’arriver à leur apogée. Mais ceci est surtout vrai pour les Cubains. Les autres, ceux qu’on appelle new world, vendent généralement des cigares fabriqués avec des feuilles de tabac déjà vieillies ». Pour poursuivre la comparaison avec un bon vin : « On ne va pas fumer un même cigare à tout moment de la journée. En général, on ne boit pas un Sauterne avec un steak au poivre vert, c’est la même chose pour un cigare, on ne va pas en prendre un trop puissant après avoir mangé une omelette ».

Le cigare est un produit de bouche, un moment de détente, de partage.

Quels conseils pour un fumeur de cigares débutant ?

Pour Philippe Vanderbruggen, le plus important est d’abord d’écouter l’amateur : « Il est bon de savoir si la personne a déjà fumé ou pas, quels sont ses goûts, ses envies. Ensuite on va lui proposer quelque chose qui ne sera pas spécialement le plus léger. Pour revenir à la comparaison avec le vin, on n’ouvre pas un cubi pour celui qui veut faire une découverte. On ne va donc pas commencer par du bas de gamme mais par un cigare bien équilibré. Mais le principal c’est de bien écouter le client, déterminer le temps qu’il peut consacrer à sa dégustation, ne pas lui proposer quelque chose de trop puissant afin de ne pas le rendre malade. »

Alcool et cigare, un bon plan ?

Nombreux sont les amateurs qui cherchent à trouver LA bonne alliance entre les cigares et les alcools. Pour Philippe Vanderbruggen, il y a deux écoles : « Il y a ceux qui tentent de trouver le meilleur “pairing” entre les deux. Moi je préfère séparer les deux mondes, me faire doublement plaisir : un moment agréable avec un cigare, un moment agréable avec un alcool. Si je mêle les deux, je divise les plaisirs, je préfère les multiplier. Mais il y a des pairings très agréables. J’adore celui avec la bière, désaltérante, parce que celle-ci s’allie très bien avec le côté asséchant du cigare. »

Des clubs partout en Belgique

Preuve que le cigare a toujours le vent en poupe, le nombre de clubs d’amateurs et leur vitalité. Le club – nettement plus que les réseaux sociaux où on a parfois trop tendance à ridiculiser les néophytes – est l’endroit idéal pour progresser. On y rencontre, souvent autour d’un repas convivial, des hommes et des femmes, de tout âge, qui ne demandent qu’à partager leur passion. On y déguste l’une ou l’autre vitole tout en s’échangeant les observations ou les avis. Et on y partage surtout les bons plans : où trouver tel ou tel cigare, quelles sont les civettes (détaillants) sympas, quelles sont les prochaines activités prévues ici ou là ?

Le cigare en 5 questions

Le cigare meilleur pour la santé que la cigarette ?

La cigarette est nocive notamment à cause de tous les additifs qu’elle contient. Certains pensent par contre que comme on n’avale pas la fumée du cigare, ce dernier est moins dangereux pour la santé. Erreur ! Le cigare contient beaucoup plus de nicotine qu’une cigarette et le fait de garder la fumée dans la bouche fera passer cette nicotine dans le corps via les lèvres et la salive.

Où acheter des cigares

On trouve la majorité des cigares dans des « civettes » mais il n’en existe pas énormément, deux ou trois par grande ville. Et en Belgique, la vente en ligne est interdite !

Par quoi commencer ?

Mieux vaut, avec les conseils du vendeur, acheter un petit assortiment. Après chaque dégustation, noter ce qu’on aime, ce qu’on n’aime pas… en sachant que les goûts peuvent évoluer avec l’expérience.

Fort ou pas fort ?

Contrairement à une idée très répandue, la couleur de la cape du cigare ne donne aucune indication sur la force de celui-ci. Un cigare clair n’est pas spécialement plus fort qu’un foncé.

Comment conserver ses cigares ?

On conserve généralement les vitoles dans des « caves à cigares ». Mais un simple Tupperware avec une solution humide peut (au début) faire l’affaire !

Objet tendance mais pas sans risque pour la santé.

« Je n’inhale pas la fumée avec le cigare », explique Christophe Vanesse, fumeur de cigares occasionnel. « Et c’est du 100% tabac, c’est naturel, donc il n’y a pas de risque d’addiction », affirme Gilles van den Beylaardt, passionné de cigares.

Autant d’affirmations que les spécialistes remettent en cause. « Il y a du tabac et il y a combustion, donc on retrouve exactement le même risque que pour les cigarettes. Il ne faut pas croire que le cigare est moins dangereux », explique Suzanne Gabriels, experte en prévention du tabagisme à la Fondation contre le Cancer.

On va moins développer de dépendance, mais d’un point de vue physique, le cigare reste tout à fait addictif.

La différence avec la cigarette réside dans la moindre facilité à se procurer un cigare dans les commerces traditionnels. Il revêt un caractère plus exclusif et est, dès lors, consommé de façon plus espacée dans le temps. « D’un point de vue psychologique, on va moins développer de dépendance, mais d’un point de vue physique, le cigare reste tout à fait addictif », souligne Éric Englebert, médecin au CHU de Liège et membre du comité scientifique interuniversitaire de gestion du tabagisme (CSIGT) du FARES.

Nicotine aussi dans le cigare

Contrairement à ce que certaines personnes peuvent affirmer, un cigare contient bien de la nicotine, un produit chimique issu directement de la plante de tabac. Le cigare n’en est donc pas exempt.

Dès qu’elle est inhalée, la nicotine se diffuse à travers le corps via le flux sanguin et atteint le cerveau. Elle active alors le circuit de la récompense et sécrète la dopamine, cette « hormone du bonheur » ou du plaisir immédiat. C’est cette activation des neurones à dopamine qui exercerait un effet addictif. « Le problème, c’est que la nicotine modifie précisément ce système qui libère la dopamine. Au plus on consomme jeune, au plus cela va avoir un impact sur ce système parce que le cerveau n’est pas encore mature », précise Suzanne Gabriels.

Si vous avez globalement moins de risque au niveau pulmonaire avec le cigare, vous en avez plus au niveau du cancer du cou.

Certains produits dérivés du tabac sont plus nocifs que d’autres, mais la toxicité y est toujours présente. « Si vous avez globalement moins de risque au niveau pulmonaire avec le cigare, vous en avez plus au niveau du cancer du cou », explique Éric Englebert. « C’est comme si je vous demandais si vous préfériez que je vous tire dessus avec une balle de six millimètres ou de neuf millimètres. Que vous me répondiez six ou neuf, ça revient au même. »