« Ils sont les grands frères qu’on aurait aimé avoir »

Membre fondateur des Snuls, entre de nombreuses autres activités, le dessinateur Fred Jannin est l’une des figures marquantes de ce que l’on nomme parfois « l’humour belge ». Que cela soit au travers des quatre saisons des Snuls sur Canal+ Belgique ou de l’improbable « J’aime autant de t’ouvrir les yeux » avec son comparse Stefan Liberski, il est l’un des principaux représentants belges de cet humour absurde, du non-sens et de l’autodérision, tels qu’hérités des Monty Python.

Fred Jannin, que représentent les Monty Python à vos yeux ?

 « Ils me doivent tout ! Car ils ont tout pompé 20 ans avant. Ce sont en quelque sorte les spécialistes du plagiat antérieur (rire). Non, ils avaient tout fait, bien sûr. Dans mon existence, il y a un avant et un après Monty Python. »

Comment les avez-vous découverts ?

« Au travers de l’émission « Absurde, n’est-il pas », présentée par David Lachterman sur la RTB (NDLR : à partir de 1976 et consacrée à l’humour britannique) et qui proposait une compilation de leurs sketches. En plus, je me souviens que les sous-titres étaient un peu… artisanaux : avec des références à Jacques Bredael (NDLR : célèbre présentateur du JT sur la RTBF) ou au carrefour Léonard. Ca m’a tellement marqué, tellement amusé…. Il faut dire que, à cette époque, le monde était très différent. Tout était en noir et blanc, en costume… Les Monty Python ont dynamité la planète. »

On a l’habitude de résumer l’humour des Monty Python à une certaine forme d’absurdité. Vous êtes d’accord avec ça ?

« Non. En fait, c’est la rigueur dans l’absurdité, ça implique une véritable sensibilité au monde. Leur film « Le Sens de la Vie » marque définitivement le coup. Ce ne sont pas de simples humoristes, ce sont en quelque sorte des humoristes-philosophes ou des humoristes-sociologues, je ne sais pas comment on peut les appeler. »

C’est-à-dire ?

« Ils incarnent un état d’esprit. Une espèce de vocation de prendre tout ce qu’on observe pour tout tourner en moquerie, mais sans jamais donner de leçon, sans jamais se placer au-dessus de la mêlée. Ils ont un regard sur l’absurdité de l’existence. Cela ressemble à une critique de la société, mais c’est en réalité un véritable positionnement vis-à-vis de l’extérieur. Dans l’absurdité de leurs sketches, il y a une vraie logique. Ce n’est pas simplement des choses collées les unes sur les autres. »

En tant que dessinateur, on imagine que Terry Gilliam occupe une place de choix dans votre appréciation de leur style…

« Un autre grand choc de ma vie a été de découvrir que Terry Gilliam avait dessiné dans « Pilote » (NDLR : magazine hebdomadaire créé en 1959 et consacré notamment à la bande dessinée). J’ai eu un jour la chance de réunir Gilliam et Marcel Gotlib (Gai-Luron, les Dingodossiers, la Rubrique-à-brac,…). Le premier était en quelque sorte le fils spirituel de Harvey Kurtzmans, fondateur de MAD (NDLR : magazine satirique américain fondé en 1952), tandis que le second était un peu le fils spirituel de René Goscinny, lequel avait justement fondé « Pilote » à son retour des USA. Or, ces deux pères spirituels se sont sentis trahis : Goscinny quand il a vu Gotlib participer à Fluide Glacial et l’Echo des Savanes ; Kurtzman quand il a découvert le Flying Circus des Monty Python. »

Vous souvenez-vous d’un sketch en particulier ?

« Oh oui, certainement celui du Gumby se rendant chez le spécialiste des cerveaux (NDLR : du nom d’un personnage de dessin animé absurde créé en 1955 ; les Monty Python ont repris et popularisé ce personnage, notamment via le sketch en question). Marcel Gotlib venait chez moi pour regarder l’émission, car elle ne passait pas en France. Il était accroupi sur le tapis tandis que j’étais dans le fauteuil et, ce jour-là où nous avons découvert le sketch, j’ai vraiment cru qu’il allait s’étrangler tellement il riait. Ca reste, évidemment, un merveilleux souvenir… »

Le parcours des Snuls suit en quelque sorte celui des Monty Python avec, non seulement une forme d’influence nettement perceptible dans vos sketches, mais aussi une notoriété acquise à la télévision.

 « Il y a un fonds commun, on en a souvent rigolé entre nous. D’ailleurs, dans l’une de nos émissions, on avait créé le Belgian Witloof Flying Circus. Mais il est clair qu’on avait un certain goût pour cet humour britannique, absurde, dérisoire, parodique. Par exemple, les Rutles d’Eric Idle (NDLR : groupe de rock fictif parodique) sont à la base de la création des « The Bowling Balls ».

D’ailleurs, pile au moment de célébrer les 50 ans de la naissance du Monty Python’s Flying Circus, on fête également les 30 ans des Snuls…

 « C’est un hasard et je ne m’en étais jamais rendu compte ! C’est totalement le hasard. Mais il y a certainement une filiation. Ce sont un peu les grands frères qu’on aurait aimé avoir, à défaut d’en être les fils spirituels. Un peu comme les Monty Python, on pensait que personne ne regardait notre émission, qu’on s’amusait juste entre nous… »

Dans la villa de Graham Chapman

« Avec Bert Bertrand (« The Bowling Balls »), nous avons eu la chance d’aller interviewer Graham Chapman et Terry Jones dans la villa du premier cité  après la sortie de « La vie de Brian ». J’étais pétrifié. A cette époque, Graham Chapman était en train de rédiger sa biographie (NDLR : « Autobiographie d’un menteur ») : un délire total où un élément sur trois est un mensonge. Quand j’ai eu quelques années plus tard l’occasion de la lire, quelle ne fut pas ma surprise d’y découvrir une note de page indiquant qu’il devait interrompre son écriture pour répondre « à des journalistes belges » ! Quel honneur ! Bon, des années plus tard, j’ai croisé Marc Didden, du magazine flamand Humo, lequel m’a révélé que, lui aussi, avait été interviewé Chapman et Jones ce jour-là… Si ça se trouve, c’est de lui qu’il parle ! »