Mondial 2022 au Qatar
12 ans de scandales en 12 dates clés

“Leur rêve brisé par l’argent”. Voici le titre de Une du journal L’Avenir au lendemain de l’attribution des Coupes du monde 2018 et 2022, respectivement à la Russie et au Qatar. Pour rappel, la Belgique et les Pays-Bas avaient déposé une candidature commune pour accueillir l’événement en 2018. Une déception d’autant plus amère qu’elle intervient sur fond de suspicion de corruption. Certains membres du comité exécutif de la FIFA, chargé de voter pour élire le pays organisateur de la compétition, auraient été soudoyés.   

Le Sunday Times et la BBC, dénoncent une corruption à grande échelle qui fausse les conditions d’attribution de la Coupe du monde. The Sun affiche même “Truqué !” en une. Plusieurs médias suspectaient déjà la FIFA, la Russie et le Qatar de corruption avant l’annonce officielle du 2 décembre 2010. C’est le cas du Sunday Times qui révéla que deux membres du comité exécutif avaient réclamé des sommes d'argent en échange de leur vote pour l'attribution des Coupes du monde 2018 et 2022. Ils ont été suspendus le 18 novembre 2010, réduisant le collège de votants de 24 à 22 personnes, quelques jours avant le vote. Le journal SonntagsZeitung (Suisse) faisait également état de suspicions de corruption quatre jours seulement avant la désignation officielle du pays organisateur.

Mohamed Bin Hammam est reconnu coupable d’achat de voix dans le cadre de l’élection présidentielle de la FIFA par le comité d’éthique de la FIFA. Il est banni à vie de toute activité liée au football. Le Qatari était membre du comité exécutif de la FIFA depuis 1996 et président de la confédération asiatique depuis 2002. Il aurait versé des millions en échange du soutien à la candidature du Qatar. En mai 2014, le Sunday Times confirme plusieurs des fraudes de Mohamed Bin Hammam. 

Le magazine France Football, encore un bi-hebdomadaire à l’époque, publie une enquête “sur la désignation, hors de toute logique apparente, du pays organisateur du Mondial 2022”. Elle cite d'emblée un mail interne à la FIFA dans lequel le secrétaire général de l'institution de l’époque, le Français Jérôme Valcke, déclare : "Ils ont acheté le Mondial 2022". Un message que l'expéditeur a ensuite mis sur le compte de la méprise, et de la plaisanterie mal interprétée.

Le "Qatargate" évoque également une “réunion secrète” organisée à l’Élysée, le 23 novembre 2010, en amont du vote pour l’attribution de la Coupe du monde 2022. Sont présents : Nicolas Sarkozy, alors président français, Tamin Bin Hamad Al Thani, alors prince du Qatar (l'actuel émir), Michel Platini, alors président de l’UEFA, et Sébastien Bazin, représentant de Colony Capital, alors propriétaire du PSG (il est désormais PDG du groupe hôtelier Accor, NDLR). Lors de cette entrevue, le rachat du PSG par le Qatar, la création d’une chaîne de sports (BeIn Sports) et le futur vote d’attribution pour le Mondial 2022 sont des sujets qui auraient été abordés. Et c’est après cette réunion que Platini aurait choisi de donner son vote au Qatar et non aux Etats-Unis, assure France Football. Une affirmation que Platini tiendra à démentir par la suite.

La France a-t-elle aidé le Qatar à obtenir le mondial de foot en échange de contreparties ? Tout se serait joué lors d’un dîner à l’Elysée en 2010 avec Nicolas Sarkozy. Une enquête conjointe de la Cellule investigation et de Complément d’enquête sur France 2. pic.twitter.com/ftJbehsewO

— France Inter (@franceinter) October 13, 2022

Le quotidien britannique The Guardian affirme dans son enquête Revealed: Qatar's World Cup 'slaves' que 44 travailleurs népalais sont morts sur les chantiers de la Coupe du monde, entre le 4 juin et le 8 août 2013. Le lendemain, The Guardian assure même que la construction de la Coupe du monde au Qatar “causera la mort de 4 000 travailleurs migrants” à cause des conditions de travail extrêmes (températures extrêmes, travailleurs très peu payés voire non payés parfois, travaux forcés, surpeuplement des habitations des ouvriers…). Le gouvernement qatari dément. 

Sepp Blatter, alors encore président de la FIFA, reconnaît que l'attribution du Mondial au Qatar était une "erreur" en raison des températures élevées en été, situées entre 40°C et 50°C. "Vous savez, on commet beaucoup d'erreurs dans la vie", ajoute-t-il à l’époque. "Le rapport technique du Qatar indiquait bien qu'il faisait trop chaud en été, mais le Comité exécutif (de la FIFA), avec une majorité assez large, a décidé qu'on va jouer au Qatar", a encore déclaré Sepp Blatter.

L’Américain Michael Garcia démissionne du poste de président de la chambre d’enquête de la commission d’éthique de la FIFA. L’Américain veut protester contre la non publication de son rapport de 350 pages rendu en septembre 2014. Ce dossier est une enquête de deux ans sur l’attribution controversée des Mondiaux 2018 et 2022. Seulement, le 13 novembre 2014, seule une synthèse de 42 pages est mise en ligne. Le président de la chambre de jugement du comité d’éthique, l’Allemand Hans-Joachim Eckert, estime que si des “conduites douteuses” ont bien accompagné le processus d’attribution du Mondial 2022 au Qatar, elles ne peuvent pas être qualifiées de faits de “corruption” et remettre en cause le vote du 2 décembre 2010. “Aucune commission de gouvernance indépendante, aucun enquêteur (...) ne peut changer la culture d’une organisation comme la FIFA”, déclare Michael Garcia, que l’on surnomme alors l’incorruptible.

Finalement, la FIFA publie, trois ans plus tard (26 juin 2017), le rapport Garcia lorsque le quotidien allemand Bild commence à faire fuiter des extraits de l’enquête. Le document révèle notamment que deux millions de dollars ont été versés au moment de l’attribution des Mondiaux sur le livret d’épargne de la fille - âgée de 10 ans à l’époque - du Brésilien Ricardo Teixeira, alors membre du comité exécutif de la FIFA. Aujourd’hui, il est suspendu à vie de toute activité liée au football, au niveau national comme international.

Le rapport Garcia assure également qu’un “ancien membre exécutif de la FIFA a félicité des membres de la Fédération qatarie et les a remerciés par mail pour un virement de plusieurs centaines de milliers d’euros” juste après l’attribution de la compétition au Qatar, le 2 décembre 2010. Aussi, “trois membres exécutifs de la FIFA disposant d’un droit de vote (Ricardo Teixeira, l’Argentin Julio Grondona et le Paraguayen Nicolas Leoz) sont allés à une fête à Rio dans un jet privé de la Fédération qatarie de football avant le vote pour l’attribution de la compétition”.

Alors que chaque Coupe du monde se déroule habituellement l’été (juin/juillet), le comité exécutif de la FIFA adopte officiellement un nouveau calendrier pour l’édition 2022. Comme pressenti, la compétition se jouera bel et bien juste avant le début de l’hiver (novembre/décembre) avec une finale programmée le 18 décembre, jour de la fête nationale du Qatar. Dès janvier 2011, Sepp Blatter puis Michel Platini s’étaient déclarés favorables à l'organisation du Mondial 2022 “en hiver”. Le 8 janvier 2014, le secrétaire général de la FIFA, Jérôme Valcke, avait même assuré que le Mondial se déroulerait bien “entre le 15 novembre et le 15 janvier au plus tard”. La raison ? Les températures très élevées l'été au Qatar, pouvant atteindre les 50 °C. Des conditions météos presque impossibles à supporter pour les joueurs et les supporters. 

Ce choix fait largement débat, notamment auprès des ligues européennes (Ligue 1, Premier League, Liga, Série A, Bundesliga…) obligées de chambouler leur calendrier. La Pro League s’y était clairement opposée. C’est notamment pour cela que le principe d’une compétition plus courte, sur 28 jours, a également été acté à ce moment-là. Conséquence directe ? Quatre matchs seront joués par jour lors de la phase de groupes qui durera seulement 13 jours pour la première fois dans l’histoire du football.

C’est l’un des moments les plus marquants de ces douze dernières années. Ce jour-là, la justice américaine arrête sept hauts responsables de la FIFA à l'hôtel Baur au Lac de Zurich. Ils s'apprêtaient à assister au 65e Congrès de la FIFA. Au total, quatorze personnes dont neuf hauts responsables de l'instance dirigeante du football mondial sont inculpés dans le cadre d'une enquête menée par le FBI. Une arrestation rendue possible par Chuck Blazer, ancien dirigeant de la FIFA accusé de corruption qui collabore avec l'agence américaine depuis plus de trois ans.  

Appelée aussi FIFAgate, cette affaire porte sur des faits de corruption au sein de la FIFA : racket, fraude et blanchiment d'argent sur une période de 25 ans, principalement sur les conditions d'attribution de plusieurs Coupes du monde ainsi que sur des contrats de marketing. Le lendemain, Michel Platini demande à Sepp Blatter de quitter son poste et de ne pas briguer un cinquième mandat à la tête de la FIFA. Malgré tout, il est réélu tranquillement le 29 mai avant d’annoncer, finalement, sa démission le 2 juin 2015. La fin de l’ère Blatter. Entré à la FIFA en 1975 comme directeur des programmes de développements, le Suisse en avait pris les commandes en 1998.

La Coupe du monde de football 2022 “aura un bilan carbone neutre, sans aucune émission polluante”, assure alors le ministre de l’environnement du Qatar, Mohammed ben Abdallah al-Rumaihi. Une promesse complètement hors-sol qui n’a pas rassuré les défenseurs de l’environnement à l’époque et qui ne sera bien évidemment pas possible de tenir.

“L’idée parfois défendue d’une Coupe du monde totalement écologique est avant tout une action de communication : le Mondial 2022 sera, au contraire, profondément antiécologique”, explique Gilles Paché, professeur en sciences de gestion à l’université d’Aix-Marseille, dans un article du média spécialisé sur l’écologie Reporterre. 

Pour rappel, le Qatar est le pays au monde qui rejette le plus de CO2 par personne dans l’atmosphère avec environ 32 tonnes par habitant en 2019, selon les données de banque mondiale. À titre de comparaison, la moyenne belge est de 8,1 tonnes par habitant. Villes au milieu du désert, système de climatisation à ciel ouvert dans les stades ou impact du tourisme de masse, le bilan écologique de l’événement est déjà (et sera) terrible pour l’environnement. Imaginez-vous que lors des Mondiaux d’athlétisme d’octobre 2019, 3 000 bouches d’aération du Khalifa Stadium ont fait tomber la température au bord des pistes à 25°C, alors que la température s’élevait jusqu’à 42°C à Doha. Mais les fortes températures avaient malgré tout perturbé le bon déroulement de ces Mondiaux via des abandons ou défaillances, notamment lors des épreuves réclamant plus d’endurance. 

Dernièrement, le Qatar a annoncé, le 27 septembre 2022, que plus de 160 vols quotidiens à coût réduit seront proposés aux supporters résidant dans les pays voisins pour aller assister aux matchs. Soit un avion-navette toutes les 10 minutes. Une décision qui alourdit encore un peu plus le bilan environnemental de la Coupe du Monde au Qatar, déjà largement critiquée.

Alors que le Qatar en reconnaît seulement 37, The Guardian écrit que 6 500 travailleurs migrants sont morts sur les chantiers de la Coupe du Monde en raison des conditions de travail extrêmes. En réalité, il y en aurait même bien plus. Pour parvenir à comptabiliser les décès, le quotidien britannique a recoupé les données des principaux pays pourvoyeurs de main-d’œuvre au Qatar : Sri Lanka, Bangladesh, Népal, Pakistan et Inde. Mais les décès de travailleurs originaires d’autres pays, comme le Kenya ou les Philippines, très nombreux au Qatar, ne sont pas comptabilisés dans cette étude.

Devant les 210 fédérations membres de la FIFA réunies lors du congrès de la fédération à Doha (Qatar), Lise Klaveness, présidente de la fédération norvégienne, a osé critiquer ouvertement l’attribution de la Coupe du monde au Qatar. L’ancienne joueuse internationale de football a notamment déclaré : “La décision d’accorder le Mondial au Qatar a été prise de manière inacceptable. Il n’y a pas de place pour des employeurs qui ne veillent pas à la liberté et la sécurité des ouvriers du Mondial. Pas de place pour des dirigeants qui n’accueillent pas le football féminin. Pas de place pour des pays hôtes qui ne peuvent pas garantir légalement la sécurité et le respect des personnes LGBT”.

Par ailleurs, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer le non-respect des droits humains au Qatar. Certains vont même boycotter l’événement : l’ancienne star de Manchester United Eric Cantona, le champion du monde allemand Philipp Lahm ou encore l’acteur français Vincent Lindon. Le sponsor principal de l'équipe nationale du Danemark a lui assuré ne pas vouloir être associé à l'événement : « Nous ne souhaitons pas être visibles lors d’un tournoi qui a coûté la vie à des milliers de personnes. Nous soutenons l’équipe nationale danoise jusqu’au bout, mais ce n’est pas la même chose que soutenir le Qatar en tant que nation hôte ».   

Presque 12 ans après l’attribution de la Coupe du monde 2022, le constat est sans appel : la plupart des membres du comité exécutif de la FIFA de l’époque sont mouillés dans des affaires de corruption, plus ou moins directement liées avec l’édition qui va se jouer dans un mois au Qatar. Nous avons dénombré 19 membres qui ont été ou sont : soit suspendus de toutes activités liées au football, soit inquiétés voire accusés à divers titres (corruption, fraude, racket, blanchiment d’argent, abus de confiance…), soit suspectés. Seules 5 personnes semblent réellement en dehors de tous soupçons.