Un quartier transformé en champ de ruines

Le 21 août 1967, un camion transportant 47 000 litres de LPG explose :
22 morts et 47 blessés.

50 ans après, toutes les plaies ne sont toujours pas cicatrisées.

Le 21 août 1967 était un lundi de fête à la cité ardoisière. Comme c’était la coutume dans plusieurs de nos villages, les paroissiens vont se recueillir sur les tombes après la messe.

Or, à Martelange, le cimetière est situé à un jet de pierre de la Nationale 4, déjà fort fréquentée à cette époque-là. De nombreux poids lourds, aux cargaisons parfois dangereuses, l’empruntent.

Les causes exactes de l’accident ? On ne le saura sans doute jamais. Le camion aurait-il eu des problèmes de freins ? Toujours est-il qu’il s’écrase sur le parapet du pont enjambant la Sûre.

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Un vrai cauchemar !

Les pompiers d’Arlon sont avertis vers 12 h 05 et sont épaulés par leurs collègues des communes environnantes, tant belges que grand-ducaux.

Pendant des heures, les opérations de sauvetage se poursuivent dans la cité ardoisière devenue un triste champ de ruines.

Le soir du 21 août, on déplorait sept morts. Au cours des jours qui suivent, le bilan s’alourdit hélas pour atteindre des chiffres qui traduisent l’ampleur de la catastrophe : 22 morts, 23 brûlés graves, 36 brûlés légers, 13 maisons détruites ou fortement endommagées, une soixantaine d’autres immeubles ayant subi des dégâts divers et 32 voitures détruites ou endommagées.

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Un mémorial au bord de la N 4 porte les noms des personnes qui ont perdu la vie

Richard Block
Philippe Block
Valentine Block
Nicole Block
Cécile Grandjean
Georgette Burnotte
Nicole Thiltgen
Émile Courtois

Léonie Roener
Jean-Baptiste Holtzmacher
Catherine Lamberty
Valérie Malvaux
Yolande Wirtgen
Lucienne Reding
Léopold Carpentie
Célestine Schwind

Georgio Sirota
Charles Imhoff
Francisco Caldas-Montana
Enrica Queralt-Pico
Raimonda Queralt-Pico
Francisco Caldas-Queralt.

« Plus les années passent et plus mes parents me manquent »

Les larmes et les cicatrices sont là, plus fortes que jamais, même cinquante ans après la perte de sa famille le 21 août 1967 à  Martelange.

« Plus les années passent et plus j’ai le temps long après mes parents. Plus ils me manquent. »

Assise à la table de sa coquette maison à Radelange, quatre km au-dessus de Martelange, Marie-Madeleine Block, 71 ans, qui a perdu cinq membres de sa famille dans le drame de Martelange en 1967, essuie ses larmes. Le souvenir reste violent, même cinquante ans plus tard. Elle avoue beaucoup craindre ces prochains jours de commémoration de la catastrophe qui a frappé Martelange le 21 août 1967. Ce jour-là, un camion rempli de près de 50 000 litres de gaz s’encastre contre le parapet du pont de la Sûre en plein centre de Martelange, après une folle descente de la Nationale 4. Le camion explose littéralement et la déflagration souffle des dizaines de maisons, de voitures, allumant autant de brasiers.

Vingt-deux personnes décèdent et 47 autres en sortent blessées.

S’occuper pour ne pas y penser tout le temps

« Et puis, mon mari qui m’a tellement aidée à traverser la vie est décédé au mois d’août aussi, il y a 27 ans. Alors, tout ça ensemble », poursuit-elle, aujourd’hui encore écrasée par la peine.

La veille de notre visite, elle avait aidé sa fille dans un déménagement. Elle s’apprête à faire de même en cette journée. « Je m’occupe, dit-elle. Je marche ; je fais du vélo ; je travaille. Je participe assez régulièrement aux bals musettes. Papa était un tellement bon danseur. »

Gros silence. Papa. Voilà le mot qui libère les souvenirs. Alors, Marie Madeleine raconte l’horreur de ce lundi noir qui a coûté la vie à son papa Richard, décédé sur le coup à 58 ans, à sa maman 49 ans et son petit frère Philippe, 9 ans, morts le lendemain, à sa sœur Valentine, 17 ans, sa sœur Nicole, 14 ans et le fiancé de Valentine, décédés dans les jours qui ont suivi.

« C’était le lundi de kermesse, se souvient Marie-Madeleine. Nous habitions Radelange dans la maison paternelle de mon mari. Il était descendu avant midi à Martelange pour aller chercher une bonbonne de gaz. Il est revenu à midi. Nous avons mangé ensemble et nous attendions qu’on nous livre une machine à laver. Soudain, on a entendu une explosion. Nous sommes sortis voir et, du jardin, nous avons vu un gros nuage de fumée qui montait vers le ciel. On ignorait totalement ce qui s’était passé. Une voisine de Radelange nous a dit « Martelange brûle ». Nous sommes restés sans savoir jusqu’en fin d’après-midi. Avec mon mari, nous avons voulu aller voir ce qui se passait. La protection civile et la gendarmerie ont voulu nous empêcher de descendre vers Martelange, mais on a insisté et on est passé. J’ai croisé un oncle qui m’a dit en luxembourgeois : « Et geet schlecht fir iech » (« Ça va mal pour vous »). Nous ne savions rien. Nous avons traversé les lieux dévastés et sommes montés à la maison de mes parents, route d’Arlon. Il n’y avait personne et une voisine m’a dit qu’on avait transporté maman à l’hôpital. Après, je ne sais plus. Je pense que c’est la gendarmerie qui nous a prévenus du décès de papa. Mais j’étais dans un autre monde ».

Après l’apéro au Café des Sports

Ce lundi, jour de kermesse, ses parents avaient assisté à la cérémonie des défunts, la messe des « trépassés » comme on disait à l’époque. Après la visite au cimetière, ils étaient descendus au Café des sports. La tradition. C’est en rentrant à pied à leur maison qu’ils ont été surpris par l’explosion du camion-citerne. « Ils se trouvaient à proximité de chez Koos, précise-t-elle. Papa est décédé sur le coup, maman et mon petit frère le lendemain. Où était Philippe ? Dans les parages sans doute, tout comme mes deux autres sœurs. Ils sont morts dans les jours qui ont suivi. »

Cinquante ans plus tard, Marie-Madeleine revit le drame, pleure, respire profondément et essuie son visage :

« Que c’est dur ! Plus le temps passe et plus je repense à tout ça. »

La photo du bonheur en noir et blanc

« Longtemps suivie médicalement, j’ai aussi été très soutenue par ma famille, poursuit-elle. Mais depuis les événements, j’ai peur. Un coup qui claque me fait sursauter. Les jours qui arrivent vont être durs, je le sens bien. Je sais aussi que je ne suis pas la seule dans mon malheur. Beaucoup de gens à Martelange et alentours souffrent encore des suites de cette catastrophe. »

Marie-Madeleine tient en main une photo prise le jour de la communion solennelle de Valentine.

Sur le cliché, on reconnaît son papa, sa maman, la communiante Valentine, sa sœur Nicole, le petit Philippe. Une famille heureuse. « En 1971, j’ai donné naissance à une petite fille, finit-elle. Cela m’a raccrochée à la vie. »

Un spectacle apocalyptique : ils racontent

« Hurlant, le conducteur de la Fiat carbonisée traverse la N 4, dévêtu »

Serge Stouvenaker, boulanger retraité, dont le fils a repris le commerce à proximité justement du pont de la Sûre, a été un témoin direct de la scène :

« J’ai vu ce camion dévaler la côte. J’étais à bord de la camionnette de mon père. Je livrais du pain. Le camion m’a dépassé et 50 mètres plus loin, la citerne a explosé et s’est retrouvée 400 mètres plus loin. La cabine a terminé sa course folle de l’autre côté de la chaussée, encastrée dans une station d’essence. C’était l’enfer, la route n’était plus qu’un immense brasier, la station, la pharmacie et plusieurs commerces et maisons étaient la proie des flammes. J’ai encore pu apercevoir ce chauffeur d’une petite Fiat, complètement dévêtu, courir à travers la chaussée, en hurlant. Il sera secouru par la tenancière de l’hôtel Martinot, mais décédera plus tard. »

Comment la tragédie a changé le visage de Martelange

Les bacs de détresse ont montré leur utilité

Des aménagements ont déjà amélioré la sécurité dans Martelange, mais il reste un point noir à la sortie, en direction d’Arlon.

Si le terrible accident de Martelange est encore bien vivant dans les esprits des habitants, il l’est également dans celui des autorités communales. L’explosion du semi-remorque à la suite d’une folle descente en direction du village a entraîné des aménagements spéciaux sur la voirie dans le sens Bastogne-Martelange avec l’installation de deux lits de détresse en 1990. Ceux-ci permettent de freiner des camions qui ne peuvent plus gérer leur vitesse.

« Ces bacs de détresse ont déjà montré leur utilité, explique le bourgmestre Daniel Waty. Cette zone a été rénovée il y a un an et, depuis lors, un camion et un véhicule plus léger ont déjà profité de cet aménagement. Dans ce cas-là, le SPW a bien fait son travail. »

La sortie de Martelange toujours dangereuse

Le bourgmestre lorgne cependant plutôt vers l’autre versant du village qui reste une zone hautement accidentogène.

« La sortie de Martelange jusqu’à la Corne-du-Bois-des-Pendus a déjà connu de nombreux accidents, dont certains mortels avec le décès d’habitants de notre commune. Mais là, rien. Cela fait trente ans qu’on me promet quelque chose, mais on me dit qu’on n’a pas les moyens de sécuriser ce tronçon de deux kilomètres. C’est un des seuls points noirs de la nationale 4, d’Arlon à Courrière. Pourquoi ne pas réaliser également une deuxième bande entre Arlon et Attert ? Sommes-nous oubliés parce que nous nous trouvons loin de Namur ? »

Le trafic a rarement été aussi dense qu’actuellement.

« On avait vu une baisse de la fréquentation de la N4 en 1988 quand l’autoroute a été ouverte, mais les gens ont repris la route de notre commune, poursuit le mayeur de la cité ardoisière. Et puis, dès qu’il y a un souci sur l’autoroute, on renvoie les usagers vers la nationale 4. Et c’est une situation qui arrive très souvent. Quand on voit la vitalité des pompes à essence, on peut se dire que les arrêts sont nombreux. »

Le mayeur croit cependant que la traversée de son village s’avère plus sécurisée qu’à la date du 21 août 1967 quand, sur le coup de midi, le camion de gaz liquide a semé la mort sur son passage.

« On ne sait jamais ce qui peut encore arriver, mais si on pouvait aussi sécuriser le tronçon à la sortie de Martelange, je serais vraiment apaisé », conclut le bourgmestre Waty.

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