Il y a 20 ans sortait « Le Vélo de Ghislain Lambert », une comédie franco-belge mettant en scène un cycliste wallon, joué par Benoît Poelvoorde, qui rêve de victoires mais restera à jamais un second couteau…

Nous sommes en 2000. Et à ce moment, Benoît Poelvoorde n’a encore tourné que trois longs métrages. « C’est arrivé près de chez vous » (1992), bombe namuroise qui fait de lui une star en quelques jours à Cannes, puis « Les Randonneurs », de Philippe Harel (1997), vaudeville pédestre où il mène un groupe à travers la Corse. Il y a eu aussi « Les Convoyeurs attendent », d’un autre Namurois, Benoit Mariage où il pousse son fils à battre un record du monde absurde et qui se retrouve aussi à Cannes (1999). Avec le même Benoît Mariage, il a également tourné un court métrage, « Le Signaleur », qui, déjà, évoque l’univers des kermesses cyclistes.

« Ben » a apprécié toutes ces aventures, mais il ne veut plus être simple acteur, il veut être impliqué dans le scénario des films qu’il va jouer. C’est ainsi qu’il est à l’origine des « Portes de la Gloire » avec le réalisateur français Christian Merret-Palme, rencontré via Canal+, film dans lequel il sera le patron d’un groupe de vendeurs d’encyclopédies, et donc du « Vélo de Ghislain Lambert », avec le réalisateur des « Randonneurs », Philippe Harel.

Reconstitution historique

« Le Vélo de Ghislain Lambert », ce n’est pas une mince affaire. A l’échelle française, presqu’une super-production qui doit évoquer tout le cyclisme des années 70. 11 millions d’euros de budget ! Une épopée qui va se tourner en divers endroits de la France (dont le Mont Ventoux) mais aussi en Belgique, à Namur, à Jemeppe-sur-Sambre et à St-Sauveur dans le Hainaut, principalement.

Une grosse production donc puisqu’en 2000, il faut reconstituer les courses cyclistes de l’époque d’Eddy Merckx. Il faut réunir des dizaines de vélos « vintage » (on retrouvera des stocks de vélos Splendor notamment) mais aussi recréer les maillots de l’époque (Molteni, Gan, Bic, les équipes mythiques). On va même en créer une, imaginaire, « Magicrème » dont…les maillots se vendent toujours

Eddy Merckx chaud puis froid

Le scénario est cosigné Harel, Poelvoorde et Olivier Dazat (impliqué par la suite dans « Podium », un des tout gros succès de Poelvoorde, « Astérix aux Jeux Olympiques » ou plus récemment l’amusant « Normandie nue »…). Ils auraient aimé qu’Eddy Merckx en personne figure dans le film. Un moment intéressé, le champion des champions cyclistes fera toutefois marche arrière, n’appréciant pas que certaines séquences évoquent ouvertement (même si de façon burlesque)… le dopage.

Et donc Poelvoorde va jouer Ghislain Lambert. Rôle qui va lui demander une énorme préparation. Tout d’abord parce qu’il n’est pas un sportif dans l’âme. Déjà, il doit affiner sa silhouette. Ensuite parce qu’il y a tout un apprentissage : « Pendant des semaines, je suis allé apprendre à me tenir sur un vélo comme un cycliste pro et rouler en peloton avec des types aguerris du genre increvables. J’y ai pris goût. A un moment donné d’ailleurs, j’ai cru que j’étais en forme et j’ai mis une petite attaque…Je l’ai vite regretté ! Je me suis fait dépasser et larguer dans la minute suivante. Faut savoir qu’au Tour de France, même le dernier du classement général est une bombe ! », nous avait-il raconté à l’époque.

Sur ce tournage, il va vivre pas mal de sensations fortes. « Par exemple, j’ai dû sprinter 15 fois de suite dans le Ventoux, dans la partie finale, la plus exposée au vent et au soleil. Et puis il y a eu la descente. Mon vélo était accroché à un véhicule et j’étais le nez sur une caméra qui me filmait en gros plan. On m’a tracté comme ça pendant des kilomètres, dans les lacets du col ! « Une prise mais pas deux » ai-je dit au réalisateur à l’arrivée ! »

Au bout de l’aventure, ce film a changé sa vision du monde du vélo : «Avant le film, le cyclisme n’était pas du tout ma tasse de thé. Et puis ça a été une vraie découverte. Je ne m’attendais pas à ce que ça me touche à ce point. Je ne sais pas trop comment vous expliquer ça, je trouve que c’est un sport intérieur. Moi je suis déjà un grand nerveux, le fait de pédaler et d’aller jusqu’au bout de ce que l’on fait a quelque chose qui vous calme.  Aujourd’hui c’est vrai que je comprends que des gens soient passionnés par le vélo, et je le défends et je le cautionne« , dira-t-il après coup au site Cinopsis.

Toute la Belgique cycliste connaît Freddy Havelange. Ce Vedrinois est depuis 40 ans speaker sur les courses belges ou luxembourgeoises mais aussi l’homme qui donne les infos en direct via radio-course.

L’Avenir.net : Freddy, comment vous êtes vous retrouvé embarqué sur ce tournage ?

FH : J’étais au Tour de Wallonie en août 2000 à Jemelle, où Marc Streel avait devancé Axel Merckx qui allait ensuite remporter le classement final. Et au retour, j’apprends que Maurice Loiseau, un de mes amis à la RTBF, a appelé pour me conseiller de passer un casting. C’est ainsi que j’apprends l’existence d’un projet de film qui a le cyclisme de l’époque Merckx comme toile de fond. Je suis donc convoqué à un casting à Bruxelles, dans les locaux de RTL avenue Ariane. Il y avait toute une file de comédiens candidats à des seconds rôles. On reçoit un texte qui doit servir à caster celui qui jouera le speaker sur les courses. Quand vient le moment de passer, je n’ai que faire du texte et j’improvise. On m’arrête et on me dit : « mais vous êtes professionnel ? » Je réponds que je le suis d’une certaine manière et que j’ai un calendrier de courses à assurer assez chargé. On me dit qu’on arrangera ça. J’entends le responsable du casting crier à ceux qui attendent : « le rôle du speaker est attribué ».

Vous voilà donc à jouer votre propre rôle au cinéma

FH : Je me rends d’abord à Jemeppe-sur-Sambre où j’aurai une première scène sur un podium. On m’a mis un veston et un nœud papillon. Le réalisateur Philippe Harel est très content et il me demande si je suis du métier. Je réponds que « oui », et il me dit « vous allez pouvoir nous aider ». C’est ainsi que j’ai amené sur le film divers coureurs comme Koen De Kocker, un cycliste flamand un peu atypique qui avait « une gueule » comme on dit et qui en 1996 a même tenté de battre le record du monde de l’heure à Manchester. J’ai amené aussi Frédéric Renson, Eddy Torrekens et aussi le regretté Victor Duchêne, de Gembloux, qui fut masseur de Merckx, Bracke ou Anglade à leur grande époque.

Il y a toute une kermesse reconstituée à Saint-Sauveur dans le Hainaut

FH : Oui, dans un village qui est traversé par plusieurs courses chaque année, dont le circuit Franco-Belge. Ce fut très amusant à tourner, l’ambiance était agréable et le contact avec les comédiens vedettes comme Daniel Ceccaldi ou José Garcia très facile.

Lors de la première du film, en ouverture du FIFF 2001 à Namur, vous vous êtes retrouvé à nouveau speaker…

FH : Oui, et ce jour-là j’étais de service sur une course à Comines. Je suis reparti au plus vite et quand je suis arrivé à Namur, je suis tombé sur Pino Cérami et Lucien Van Impe, qui venaient du même endroit que moi. Les gens du FIFF avaient organisé une course dans le centre de Namur et le podium se trouvait sur la place d’Armes. C’est ce soir-là qu’on a vu Poelvoorde faire « bonjour Fabienne » pendant le JT. Après la course, on m’a dit « vous pouvez aller voir le film à l’Eldorado avec les vedettes ou au Caméo avec les autres. Avec ma femme, on n’a pas hésité : on est allé le découvrir au Caméo ».

Les fans de vélo (et adeptes de Twitter) ont peut-être vu passer les tweets gentiment ironiques d’un certain Ghislain Lambert, qui affiche la bobine du Poelvoorde casqué du film. Nous l’avons démasqué, c’est Freddy Crépin, un cycliste amateur des Vosges.

 

L’Avenir.net : D’où est venu l’idée de ce compte twitter ?

FG : Parce que j’avais vu qu’il y avait quelques comptes fantaisistes où on pouvait se marrer doucement à propos du cyclisme. Et donc j’ai créé celui de Ghislain Lambert, un film que j’adore depuis que je l’ai vu au cinéma, à sa sortie. J’ai même un maillot Magicrème !

Qu’est-ce que vous lui trouviez au film ?

FG : Je trouve que c’est le meilleur film qui existe dans sa façon de montrer le cyclisme. J’en ai vu d’autres genre « La grande boucle » mais c’était beaucoup moins touchant et crédible. La bonne idée est d’être parti d’un petit coureur, pas un champion qui va gagner cinq tours de France. Cela donne un point de vue plus humain et plus attachant. Et puis il y a toute une restitution de l’esprit des kermesses et de la passion du vélo qui est soignée et réussie. Ce n’est pas un film qui a été un grand succès, mais il a séduit tous les passionnés de vélo. D’ailleurs sur les courses, on entend crier « vas-y Ghislain Lambert » à ceux qui sont à la peine. Je l’ai montré à mes enfants et ils ont adoré.

Vous-même, vous êtes coureur cycliste…

FG : Oui, je viens de Lens, du Nord, et j’ai fait des compétitions très jeune. J’en fais encore d’ailleurs, dans les catégories liées à mon âge, 41 ans ! L’âge de Valverde (rires) ! Mon père m’a toujours emmené voir les courses de la région, les 3 jours de La Panne ou le Tour des Flandres. Je connais tous les cols des Vosges, mais avec mon mètre 85, j’étais plutôt fait pour les pavés !

Vous auriez pu figurer dans le film…

FG : Si j’avais eu l’occasion, j’aurais été un des premiers à m’inscrire pour rouler avec Ghislain Lambert !

Entre deux réponses sur un de ses nouveaux films, « Profession du père », le comédien namurois a évoqué ce mythique film pour nous.

L’Avenir.net : « Le Vélo de Ghislain Lambert », cela reste un film important pour vous ?

Benoît Poelvoorde : Je l’ai écrit, donc oui. Je l’adore, déjà parce que c’est l’une des rares fois où j’ai fait de l’exercice physique. Et puis, on l’a tourné dans ma région, c’était très gai. Vous savez, un film, c’est comme un montage « dias » de vos vacances : il vous rappelle une époque. Et celui-ci me rappelle déjà cette silhouette que j’ai eue et qui a disparu depuis longtemps. C’était aussi mes débuts dans des films un peu plus « lourds », des trucs un peu « chargés ».

Vous savez que c’est un film devenu culte pour beaucoup de cyclos ?

Oui, je le sais parce que je vis quand même dans une région de cyclistes. Beaucoup d’entre eux me saluent encore souvent quand je me promène en bord de Meuse. Sans doute parce que le film montre une époque bénie du vélo, et qu’il est à la gloire d’un loser. C’est un film en hommage aux petits coureurs.

Oui, on peut se procurer le mythique maillot Magicrème, celui que porte Benoît Poelvoorde durant une bonne partie du film puisque c’est le nom de l’équipe où il est engagé.

Et où l’acheter ? Sur le site des cycles Marcarini, spécialisé dans les maillots vintage. Entre un maillot de champion de Belgique Molteni, un maillot Bic, Peugeot ou Brooklynn, ce site propose le « Magicreme », en plusieurs tailles.

Gianni Marcarini, le fondateur de ce site, 81 ans aujourd’hui, est un ancien coureur pro qui fut Italien puis devint français et qui fut équipier de Jacques Anquetil.  Sa plus grande victoire demeure le GP de Plouay en 1970.

Après sa carrière cycliste, il ouvre un commerce dans le Morbihan, fabriquant des vélos sur mesure. Il devient un des pionniers de la vente par correspondance et puis par internet. En 2017, son magasin ferme ses portes, mais il reste spécialisé dans les équipements cyclistes et les maillots vintage et autres. Infos : www.cycles-marcarini.com