Thierry Bay est fermier à Dottignies.  Mais ce n’est pas un fermier comme les autres.  Dans son exploitation, il élève 65 000 esturgeons destinés à produire du caviar belge. 

Depuis 2006, le caviar sauvage est introuvable. Et pour cause, la pêche des esturgeons sauvages est interdite dans le monde entier.  Pour faire face à la demande mondiale, seul l’élevage est désormais capable d’y répondre.  Si la Chine est devenue le premier producteur mondial de caviar, avec 5 tonnes produites par an et des perspectives de croissance assez énormes, Royal Belgian Caviar s’est forgé une place remarquée sur ce marché mondial. 

Le week-end, Thierry Bay habite Burdinne.  La semaine, il la passe à Dottignies, dans sa ferme piscicole. Ce diplômé des facultés agronomiques de Gembloux s’est spécialisé en aquaculture.  Comment est-il arrivé là ? C’est une histoire à la belge. Une histoire sans frontières linguistiques, mais avec un sens rigoureux de faire le meilleur caviar du monde. 

C’est à Turnhout, en 1980, qu’elle a débuté, au moulin de la famille Joosen-Luyckx.  L’entreprise, spécialisée en farine boulangère, cherche à diversifier sa production en développant Aqua Bio, une filiale pour produire des farines pour l’alimentation des truites, des tilapias et des carpes koïs d’élevage.  

Un investissement risqué

 

En 1990, l’entreprise décide d’acheter un esturgeon huso huso pour développer une farine spécifique répondant aux besoins de cette espèce. «  Pendant 25 ans, nous avons élevé et choyé, avec notre propre nourriture, notre esturgeon huso huso, pour finalement produire ce fameux caviar béluga, explique Thierry Bay.  Après avoir étudié les besoins alimentaires des esturgeons, nous savons exactement ce dont ils ont besoin. Ce respect pour leur alimentation est un des éléments essentiels qui fait la qualité unique de notre caviar. Comme nous avions l’expertise de la nourriture, et comme en 2000, nous avions acheté d’autres femelles, nous avons eu la volonté de poursuivre notre expansion. »

Esturgeon
Esturgeon

Surveillés jour et nuit

À Dottignies, ce sont plus de 65 000 esturgeons qui coulent des jours heureux dans les 11 500 m3 d’eau douce de l’immense ferme piscicole. Ils sont surveillés jour et nuit, sept jours sur sept.  

Avec une telle population, il faut que la qualité de l’eau soit toujours parfaite. « C’est primordial, insiste Thierry Bay. Nous avons divisé le parc de nos bassins en quatre parties.  Pour chaque partie, nous disposons d’un filtre biologique qui dégrade tout ce qui doit l’être, et notamment les déjections de nos esturgeons. Ces filtres sont ensemencés pour pouvoir remplir leur rôle et ainsi filtrer l’eau de manière correcte.  Notre système est bien rodé.   Nous avons aussi mis en place une stérilisation de l’eau par ultraviolets avec un traitement de l’eau à l’ozone. Cela nous permet de neutraliser tous les parasites possibles et ainsi d’élever les poissons dans des conditions optimales.  Grâce à cela, chaque partie de la ferme ressemble un peu à une île isolée au milieu de l’océan. Il y a peu de maladies, pour ne pas dire aucune. Le taux de mortalité est extrêmement faible. »

Ce taux est largement en dessous des dix spécimens par jour… Autant dire peanuts. 

« L’esturgeon, de manière générale, est une race très robuste. Elle ne connaît pas de problèmes de maladies liées aux bactéries. Malgré cela, je ne tiens pas à me tirer une balle dans le pied en mettant tous mes esturgeons dans le même panier.  C’est pour cela que nous avons divisé notre ferme en quatre parties. Ce qui divise les risques éventuels par quatre.  Tous les poissons n’ont pas le même âge, ne sont pas de la même race. De ce fait, on ne les mélange pas. Cela limite aussi les risques. »

Et quoi qu’il se passe, sept jours sur sept, 24 heures sur 24, ils sont tenus à l’œil par la petite équipe de la ferme piscicole qui les chouchoute, les nourrit et les bichonne. 

Diverses espèces d’esturgeons

On distingue six espèces d’esturgeons.  La plus utilisée pour produire du caviar, c’est l’esturgeon sibérien (Acipenser baeri). Elle ne vit qu’en eau douce et son poids à maturité (8 ans) dépasse les 200kg.  L’esturgeon russe (Acipenser gueldenstaedti) est le cousin de l’iranien (Acipenser persicus). Originaires de la mer Caspienne, ces deux espèces sont à l’origine du caviar Osietra. Le sterlet albino (Acipenser ruthenus) est proche de la famille de l’esturgeon sibérien, mais son poids dépasse rarement la quinzaine de kilos. De petit format, il fournit un caviar souvent comparé au sevruga. Royal Belgian Caviar produit du caviar blanc avec cette espèce.  L’esturgeon beluga huso huso, c’est le top des esturgeons. C’est aussi la plus grande espèce qui produit le caviar le plus recherché.   Enfin, l’esturgeon hybride (Baeri gueldenstaedti hybrid) provient du croisement entre les esturgeons russe et sibérien.  Cette espèce combine une très bonne qualité d’œufs et une maturité rapide (7 à 8 ans). 

Patience et rigueur

Il faut de la patience pour qu’un esturgeon atteigne  sa maturité sexuelle. En fonction de son espèce, il faut parfois attendre entre 5 et 18 ans pour récolter les œufs. 

Le cycle pour produire du caviar de qualité est très long.  Au début de l’élevage des poissons, on a déjà effectué une sélection de genre. On élimine les esturgeons mâles pour ne garder que les femelles.  Au terme de leur élevage, qui peut varier en fonction de l’espèce entre 5 et 18 ans, les femelles d’esturgeons, arrivées à maturité, sont isolées et mises pendant huit semaines dans des bassins d’affinage.   à ce stade, ces femelles sont pleines d’œufs.  On estime que ces œufs représentent 15% de leur poids total. 

« Il faut beaucoup de patience, insiste Thierry Bay.  Surtout pour le béluga, qui atteint sa maturité à 18 ans. Il faut donc maintenir de très bonnes conditions d’élevage pendant toutes ces années pour obtenir un caviar de haute qualité. »

Après les huit semaines d’affinage, les esturgeons déménagent. Direction Turnhout et  l’abattoir. C’est sans doute le côté le moins glamour du caviar mais, pour pouvoir profiter des œufs d’esturgeons, il n’y a guère d’alternative. Une fois abattues, les femelles esturgeons sont vidées de leurs œufs. 

Le sel, exhausteur de goût

Leur goût est assez insipide, ils rappellent les saveurs agréables de la noisette ou de la châtaigne fraîche.  Au niveau de la couleur, les œufs tirent vers le beige.  Ces œufs sont d’abord pesés et sont ensuite lavés à l’eau claire. Ce premier lavage enlève les impuretés. Les œufs sont ensuite déposés sur un tamis où un triage rigoureux, à l’œil, est effectué. 

Vient ensuite l’étape la plus importante. Celle du salage.  Il est proportionné à la récolte d’œufs. Ni trop, ni trop peu.  Après mélange, les œufs ont changé de couleur. Ils sont devenus noirs et sont plus brillants.  Le sel joue admirablement son rôle d’exhausteur de goût. 

Quand on déguste le caviar, son goût a évolué et ses arômes se sont affirmés.  Après le salage, il est plus ou moins iodé et, au niveau du goût, il rappelle celui des huîtres, avec en plus des notes beurrées, de noisette et d’amande. Les œufs sont toujours bien fermes. Ils croquent sous la dent. 

Après le salage, vient l’emballage.  En fonction de celui-ci, le caviar est pesé au grain près. La boîte est fermée et scellée, et est prête à être livrée. 

Tous les formats

La production de Royal Belgian Caviar est faite de manière traditionnelle. Les œufs, dont le diamètre varie entre 2,7 et 3,5mm, sont légèrement salés, entre 2,8 et 4% de sel alimentaire.  On parle alors de caviar Malossol.  Ce mode de préparation est typiquement russe.  C’est ce que nous appelons chez nous la lacto-fermentation.  Elle permet de rehausser le goût, mais surtout de favoriser la conservation. Le caviar est placé dans une boîte qui est mise sous vide. Il ne s’agit pas d’une véritable conserve, qui aurait été appertisée, mais plutôt d’une semi-conserve. Les boîtes doivent donc être conservées au frigo. Il y a plusieurs formats de boîtes : 10g, 30g, 50g, 125g, 250g, 500g ou 1 000g. 

Une réputation mondiale

La firme belge propose différentes variétés de caviar. Il y a le béluga, le Gold CLabel, le Platinum, l’Osietra et le White Pearl. La qualité irréprochable et le mode de production durable mis sur pied par Royal Belgian Caviar connaissent un énorme succès en Belgique.  Naturellement pauvre en calories et de qualité exceptionnelle, il est l’un des produits favoris de nos grands chefs, étoilés ou non, notamment Peter Goossens (Hof Van Cleve), Gert De Mangeleer (Hertog Jan), Roger Van Damme (Het Gebaar), Bert Meewis (Slagmolen), Nick Bril (The Jane) et Tim Boury (Boury) qui mettent en avant cet or noir à la carte de leur restaurant. 

Le caviar belge jouit aussi d’une excellente réputation mondiale, surtout auprès des pays qui l’importent comme le Japon, la Corée du Sud, Singapour, les pays scandinaves, le Royaume-Uni, la Suisse, la France, l’Espagne ou encore les États-Unis.

Actuellement, au niveau mondial, on produit, par an, 500 tonnes de caviar issu d’aquaculture. Les Belges ne fabriquent pas plus de 6 tonnes, soit un peu plus de 1% du marché international. 

« Être belge, sur des marchés internationaux, c’est toujours porteur, confirme Thierry Bay.  D’ailleurs, nous exportons deux tiers de notre production annuelle. Et nous sommes dans le haut du panier des meilleurs producteurs, se félicite Thierry Bay.  Et dire qu’en 2001, nous avions seulement récolté 110 kg. C’était anecdotique. Aujourd’hui, nos perspectives sont de poursuivre notre croissance pour atteindre, dans les cinq ans, plus de 10 tonnes de caviar par an. »

Rare et précieux

Le béluga est très rare et donc très cher.  Il provient de l’esturgeon huso huso, originaire de la mer Caspienne et de la mer Noire. Aujourd’hui, cette espèce d’esturgeon, la plus grande, est menacée d’extinction. Elle est protégée.  Du coup, trouver du béluga sauvage n’est plus possible. Il peut encore être proposé à la vente, à la seule et unique condition qu’il provienne de l’aquaculture. 

Cette mesure est la seule qui devrait permettre d’éviter l’extinction totale de cette espèce.  Le caviar provenant de l’aquaculture est donc franchement durable, mais cela n’empêche pas que le béluga est toujours aussi rare.  Pourquoi ? Parce qu’il faut attendre au moins 18 ans pour que le huso huso atteigne sa maturité, dans une qualité et une température d’eau irréprochables, avec suffisamment d’oxygène, une alimentation adéquate et aussi de l’espace pour croître, et atteindre à ses 18 ans une longueur de 2,5m pour un poids variant entre 150 et 200kg. Tout cela pour ne finalement récolter qu’entre 15 et 20kg d’œufs.