Ils étaient à Houffalize, à Bastogne, à Lierneux en décembre 1944. Ils racontent ces journées, terrés dans des caves ou dans des villages.

C’est dans la rue Clérue que René Bastogne, né en 1928, réside en 1944. Il a vécu l’offensive de très près : « Du 18 au 20 décembre, l’important charroi américain passait, venant de la route de Houffalize. Le pont du Faubourg, pont provisoire reconstruit par les Américains, était toujours en place. »

Les Allemands réinvestissent la ville. « Nous nous sommes réfugiés dans la cave voûtée de la maison voisine, tant le bruit et les vibrations causées par le passage des chars allemands étaient intenses et effrayants », note-t-il.

De son propre aveu, il fait « calme ». Jusqu’au lendemain de Noël : « Le 26 décembre au matin, une formation assez importante d’avions américains est passée au-dessus de La Roche. Les quatre derniers avions se sont détachés de cette formation et ont tournoyé trois ou quatre fois au-dessus de La Roche. Quelques instants plus tard, j’ai entendu, personnellement, ainsi que des voisins, un fort sifflement et nous nous sommes précipités dans les caves. »

De cave en cave

Les bombardements de la ville débutaient. Ils vont se poursuivre : « Ces jours-là, nous nous sommes réfugiés successivement dans plusieurs caves ou abris sur cette route en direction de Villez. Profitant d’une relative accalmie, nous nous sommes rapprochés de La Roche par le chemin de la Corniche de Deister, pour aboutir, dans les tout derniers jours de l’année 1944, dans la cave d’une fermette rue Saint-Quoilin. Nous y étions au total une bonne vingtaine. Nous y avons survécu environ deux bonnes semaines, avec juste, pour se nourrir, quelques pommes de terre et rutabagas, pour chauffage un foyer à bois, et la seule eau disponible se trouvait dans un puits, lorsqu’elle n’était pas gelée. Nous sortions très brièvement pour satisfaire nos besoins naturels en profitant d’accalmies temporaires. »

Héroïsme 

Les Allemands font évacuer la cave. « À l’extérieur, attendaient d’autres Rochois, prisonniers aussi. Arrivés rue Clérue, nous avons été alignés en rangs. Des soldats allemands étaient derrière nous en position de tir et des officiers allemands se tenaient devant nous, ajoute-t-il, enchaînant : De façon héroïque est sorti des rangs Monsieur Henri Elias, instituteur en chef de l’école communale. Il a parlementé en langue allemande et a fait valoir nos brassards de la Croix-Rouge qu’il nous avait distribués lors de son passage dans notre fermette quelques jours auparavant. Nous avons pu être libérés et sauvés ! »

Les Allemands quittent la ville le 9 janvier. « Mais pendant deux à trois jours et nuits, les tirs d’obus de l’artillerie américaine ont continué. On raconta que le vicaire de La Roche s’est rendu à vélo jusqu’aux positions américaines, au risque de sa vie, pour les prévenir que c’était tout à fait inutile de continuer à tirer. »

Noël dans une cave avec des Allemands

Jacques Housiaux a vu le jour à Bastogne, en 1929. Il vit aujourd’hui dans la région bruxelloise. Ses souvenirs de la bataille sont encore très présents : « L’après-midi du 20 décembre 44, ma mère et moi, en compagnie d’autres civils, quittons Bastogne par la route de Neufchâteau, nous nous dirigeons vers Remoiville, note-t-il, enchaînant. Nous sommes accueillis par ma tante, institutrice au village et hébergés dans une ferme. »

Le lendemain, c’est le premier contact avec des Allemands. Ils pénètrent dans la ferme : « Ils réclament nourriture, boissons et logement », se souvient le témoin. Ils restent 5 jours et, suivant le Bastognard, sont “ corrects ”. » Noël est là.

Un Noël particulier : « Nous passerons la veillée de Noël dans les caves voûtées de la ferme, en compagnie des Allemands. Pour ma part, je me suis installé sur le tas de pommes de terre, juste à côté de l’un d’entre eux. Sur un tonneau, une petite crèche a été construite et une bougie éclaire la veillée. Soudain, d’un harmonica, jaillit l’hymne apaisant de Noël : “ Stille Nacht, heilige Nacht’’ que fredonne un soldat. »

La bataille s’approche. Les Allemands se rendent. Dehors, Jacques Housiaux assiste au défilé des blindés de Patton : « Je demande à un tankiste : “ Now ? ” Il me répond d’un seul mot : “ Bastogne. »

La seconde libération est là. La fin de cette guerre sera marquée par un épisode dramatique: « Quelques jours plus tard, la maison de ma tante prend feu de manière accidentelle et le fils de la maison périt dans les flammes. »

La dramatique évacuation

Dans la maison familiale, à Bra-sur-Lienne (Lierneux), Gabrielle Paquay, 96 ans, attire notre attention sur le carrelage : « Là, il est cassé. Ce sont les Américains qui y ont fendu du bois. » Elle reprend d’emblée : « Heureusement qu’ils étaient là. Je ne sais pas ce que nous serions devenus. On ne leur en veut pas. Ils nous ont sauvés. » Son frère, Albert, qui vient de fêter ses 94 ans, enchaîne : « Nous avons eu beaucoup de chance à Bra. Si les Allemands avaient fait un kilomètre en plus, nous aurions sans doute connu des plus grosses destructions. Ici, après l’offensive, il y avait quelques maisons incendiées. Mais ce n’est pas comparable avec ce qui s’est passé à Floret, Malempré, Manhay. »

« Werbomont, Werbomont ! »

L’offensive, elle a marqué la mémoire de Gabrielle et Albert. Les souvenirs sont encore vivaces. Les situations défilent encore, non sans émotion, parfois avec un peu d’humour. Ils le concèdent, peu avant le retour des Allemands, on sentait une certaine tension, un certain énervement dans les troupes américaines qui étaient dans la région. C’est la rumeur qui les informera du début de l’offensive.

Albert et quelques jeunes du village décident de se rendre à Trou-de-Bra, à deux kilomètres de chez lui : « On ne réfléchit pas lorsque l’on est jeune. Nous voulions aller voir ce qu’il se passait. Nous avons vu deux véhicules allemands avec une quinzaine de soldats sur chacun. Ils criaient « Werbomont, Werbomont. » Nous avons fait signe qu’il fallait faire demi-tour puis nous sommes rentrés chez nous. »

Un revolver

Plusieurs jeunes hommes du village, dont Albert et, dit-il, « un habitant de Grand-Halleux qui s’était réfugié à Bra » décident d’évacuer. Direction Harzé où la sœur d’un membre du groupe habite. L’évacuation ne se fait pas sans mal : « Nous avons vu de nombreux soldats américains, avec armes et bagages, qui dormaient à même le sol. La sentinelle nous a laissés passer. Nous avons entendu les bruits d’obus américains. Nous nous sommes dit que si les Allemands répliquaient, nous serions au milieu. » Et les évacués de reprendre un autre itinéraire.

Lors de ce dernier, ils seront fouillés par les Américains. « L’habitant de Grand-Halleux avait un revolver. Nous ne le savions pas. Nous l’avons dissimulé et je l’ai jeté plus tard, lorsque nous sommes montés dans des camions américains », se remémore-t-il.

« Papa pleurait »

Quelques jours plus tard, c’est au tour de Gabrielle d’évacuer : « Nous avions préparé un lapin pour Noël. Les Américains sont arrivés et ont dit qu’il fallait partir. Papa, un ancien de 14, pleurait parce qu’il fallait quitter la maison. Nous sommes partis avec mes parents, mes deux sœurs et moi. L’abbé Mosay avait organisé l’évacuation. » Le groupe se retrouve dans la même région que celle où Albert se trouve. Sans pour autant le savoir.

Maman est morte

Les retrouvailles vont se faire dans la douleur. Albert explique : « On travaillait dans une ferme pour avoir du pain. Un jour, le fermier, apprenant que nous venions de Bra nous dit : “Tiens, hier, on a enterré une femme de Bra à Remouchamps.” C’était maman ! »

À l’hôpital à Huy

À son retour à Bra, Albert découvre sur l’établi de la maison, une série d’objets : « Les Américains qui étaient à la maison n’ont pas voulu y toucher. Mon frère, en prenant un objet qui était à côté, a déclenché une explosion », note-t-il, soulignant qu’il « n’entendait plus rien ».

Les deux frères sont transportés au château de Bra où une infirmerie s’était établie. « On nous a ensuite mis dans une ambulance. Nous avons roulé longtemps. On nous a déposés dans une tente, immense, où il n’y avait que des blessés. Puis, nous avons été dirigés vers l’hôpital de Huy. »

À Huy, ils ont des nouvelles du pays grâce à un infirmier originaire d’Odeigne. « Je suis rentré en ambulance. Mon frère, qui avait de la fièvre, reviendra plus tard avec un docteur de Grandmenil. »