La population était habituée, depuis des mois, à observer, regard vers les airs, des escadrilles de bombardiers se dirigeant vers l’Allemagne. Chaque passage était, dans l’imaginaire collectif, synonyme de fin de guerre. Jamais, sans doute, cette population ne se doutait qu’un jour, elle connaîtrait des bombardements aériens.

Un enfer venu du ciel s’ajoutant, pour certaines localités, aux pluies d’obus lancées par les belligérants. Les alliés avaient la maîtrise du ciel. La météo les avait cloués au sol. Lorsque l’embellie revient, ils peuvent (re)passer à l’action. Dans la ligne de mire : les nœuds de communication. Il faut à tout prix, empêcher la mobilité de l’ennemi. Saint-Vith a héroïquement résisté. Les hommes de la 7e Blindée US ont retardé l’avance allemande avant de se replier.

La période de Noël va être synonyme d’une nouvelle apocalypse pour la population locale : l’aviation alliée réduit la ville à l’état de cendres. On retire des décombres près de 250 personnes.

Cataclysme à Houffalize

Autres nœuds routiers importants, toutes deux dans la vallée de l’Ourthe, les villes de La Roche-en-Ardenne et de Houffalize vont être rayées de la carte respectivement par l’aviation américaine et britannique. 189 Rochois perdent la vie, 189 Houffalois périssent dans ce que certains témoins qualifient de « cataclysme. »

Paul Levy, correspondant de guerre, écrit : « Le spectacle de La Roche était bouleversant. Certes, les terriens savaient que, pour aider son action, l’aviation avait dû bombarder La Roche. Mais personne ne s’attendait à une telle désolation : vraiment, la ville n’existait plus. » Et d’ajouter : « Le spectacle des destructions de La Roche était peut-être moins effrayant que celui de Houffalize. Une seule maison paraissait intacte à flanc de coteau. »

Méprise à Malmedy ?

Les stratèges avaient parlé. L’aviation était entrée en action. Ces destructions portaient, au sein de l’état-major allié, leurs fruits. Par contre, aujourd’hui encore, on s’interroge sur ce qui s’apparente à une méprise, même si de nombreuses hypothèses circulent : le bombardement de Malmedy.

La ville n’a jamais connu la réoccupation pendant la bataille des Ardennes, les Américains repoussant les assauts allemands. La ville sera cependant détruite par les bombes, alors que l’armée US l’occupe !

Les civils payent une nouvelle fois le prix fort avec près de 215 victimes !

Des otages

Les témoignages des civils qui ont connu cet épisode de l’histoire sont des tranches de vie : la peur, la faim, les destructions, le froid, les combats, la désolation. Chaque civil a vécu « sa » guerre. Les contemporains ont été marqués au fer rouge. Comme les témoins de cette bombe qui, à Sainlez, tue une trentaine de personnes. Marqués au fer rouge également, ces civils de Villers-la-Bonne-Eau contraints de suivre les Allemands en pleine mitraille. Marqués au fer rouge, ces hommes pris en otage par les troupes allemandes à On, Hargimont, Jemelle et Forrières. Emmenés de force, ils ont été contraints de travailler, à déblayer la neige, à creuser des tranchées. Le tout à la rigueur des combats. Certains seront victimes de ces derniers, deux seront exécutés à Wibrin en janvier 1945.

Le bourgmestre arrêté sur ordre de Léon Degrelle

C’est également en janvier, le 7 pour être précis, que le bourgmestre de La Roche-en-Ardenne, Jean Orban de Xivry, est arrêté, avec deux de ses nièces, à la Petite Strument où de nombreux Rochois avaient trouvé refuge. Le bourgmestre est enlevé sur ordre de Léon Degrelle. Ce sont d’ailleurs des hommes de la Légion Wallonie qui l’emmènent. Principal grief : son attitude avant et pendant la guerre, totalement antirexiste. Il est plusieurs fois menacé d’être passé par les armes. Si les deux nièces seront rapidement libérées, Jean Orban de Xivry, ne devra son salut qu’aux Américains, alors qu’il se trouve en plein cœur de l’Allemagne !

Un sort oublié ?

L’historiographie américaine a très peu fait cas du sort des civils pendant cette bataille. Pire, serait-on tenté d’écrire, l’historien américain Stephen Ambose, dans son succès Citizen soldiers, affirme que les civils étaient hors des zones de combat ou avaient été évacués. Rétablissant la vérité, l’historien belge Peter Schrijvers a publié un livre qui rend hommage aux civils : The unknows death.

« Noël, paix sur la terre »

Le mois de septembre 1944 avait ouvert de nombreuses perspectives de paix prochaine. Certaines localités avaient certes été éprouvées lors de la retraite allemande mais tous pensaient que pour Noël, on retrouverait la paix, que les prisonniers de guerre en Allemagne seraient de retour au pays. Que la vie reprendrait. Le dernier coup de dés d’Hitler en décide autrement.

Ce Noël 1944, pour la population ardennaise, sera le plus tragique de son histoire. Entre combats, bombardements, exactions, on vit terré dans les caves, dans des grottes, on évacue sans trop savoir où l’on veut, où l’on peut aller. « Noël, paix sur la terre… » est un message qui semble bien loin.

Et pourtant. Dans le village de Champs, dans la région de Bastogne, après les combats, on retrouve, sur le tableau de l’école, ce message écrit par un soldat allemand : « Que jamais le monde ne vive semblable nuit de Noël ! Mourir par les armes, loin de ses enfants, de son épouse et de sa mère, il n’y a pas plus grande cruauté. Ravir un fils à sa mère, un mari à son épouse, un père à ses enfants, est-ce digne d’un être humain ? La vie ne peut être donnée et acceptée que pour s’aimer et se respecter. Ce sont des ruines, du sang et de la mort que naîtra sans doute la fraternité universelle. »