Institution plus que centenaire, l’Ancienne Belgique a connu plusieurs vies, cirque, music-hall, dancing… Elle a même été une salle de réunion, des fêtes. Il y a 40 ans tout juste, elle prenait sa forme actuelle : une institution culturelle de la communauté flamande. Mais sa réputation dépasse largement les frontières. Les plus grands artistes y ont joué, de Kraftwerk à Muse, d’Oasis à Etienne Daho, Green Day, Radiohead, Adèle (le premier concert de sa tournée européenne)… et beaucoup d’autres. Elue meilleure salle d’Europe l’an dernier, elle accueillera un concert chaque soir jusqu’en juin.

« La meilleure salle d’Europe est à Bruxelles, on ne le dit pas assez. On peut être fier quand même, non ? », dit Dirk de Clippeleir, le patron des lieux, à l’enthousiasme contagieux. Celui qui est directeur de l’AB depuis 9 ans a une trentaine d’années d’expérience dans le monde de l’industrie musicale. Alors, à l’occasion des 40 ans de la salle, on a discuté du passé, du présent et de l’avenir de l’institution et des défis des salles de concert.

 « La meilleure salle d’Europe est à Bruxelles, on ne le dit pas assez. On peut être fier quand même, non ? »

 « La meilleure salle d’Europe est à Bruxelles, on ne le dit pas assez. On peut être fier quand même, non? »

Vous avez des artistes de partout, qu’est-ce qu’elle a de flamand votre salle ?

La Communauté flamande a repris la salle en 1979 (et la Communauté française, le Botanique, ndlr). On reçoit des subsides, entre 20 et 25% de notre budget. On a le devoir de mettre sur scène des artistes flamands émergeants. Mais aussi des francophones. Notre public est à 55% flamand et 45% francophone. On est très ouverts autant sur les artistes que sur le public.

Combien de personnes travaillent à l’AB ?

On est 49 personnes, plus 8 personnes pour l’Horeca. Et des freelance. Mais l’équipe technique fait partie des salariés. Ce sont des gens qui connaissant parfaitement la salle, le son, la technique et les innovations qu’on peut y faire.

C’est ça votre secret : le fait d’avoir une équipe technique permanente qui connaît le moindre câble ?

En partie… C’est aussi parce qu’on a des installations techniques parmi les meilleures d’Europe, si pas les meilleures. On y investit. Le secret c’est ça : on fait le focus sur la qualité depuis 40 ans, la qualité technique et la qualité de la programmation. On a la volonté de faire toujours mieux, d’aller plus loin. Beaucoup de salles sont des boîtes vides : on loue un espace et on amène ses équipes. C’est comme ça à Forest national, par exemple. On travaille sur beaucoup de petites choses. La cuisine, par exemple : les artistes ont un chef dédié. On vise là aussi un certaine qualité. Les artistes, quand ils reviennent, reconnaissent les équipes, ils savent qu’ils auront toujours une réponse à leurs questions… Les concerts commencent toujours à temps… Il y a peu de couacs, quoi.

Est-ce que vous ressentez une concurrence entre les salles de concert ?

On n’a pas la même jauge… On est plutôt complémentaires. Un artiste va commencer au Botanique devant 800 personnes, puis venir chez nous avec 2000 personnes, puis aller à Forest avec 8000 places. Comme ça a été le cas pour Angèle par exemple.

CARTE | Les plus importantes salles de concert en Belgique

Il y a de la place pour tout le monde. On a la même jauge que le Cirque royal. Christine & The Queens y a joué et pas chez nous parce qu’on n’avait plus de place. On organise 300 concerts par an, comme au Botanique. C’est vrai qu’avec la réputation, l’histoire les capacités techniques qu’on a, beaucoup d’artistes veulent venir jouer chez nous.

Nombre de visiteurs payants
Nombre de visiteurs payants

2015

2018

241.395
314.621

2015

241.395

2018

314.621
Taux d’occupation
Taux d’occupation

2015

2018

76%
86.5%

2015

76%

2018

86.5%

Ca a l’air cool et festif votre boulot. Mais l’AB, c’est un vrai business et vous un chef d’entreprise…

Oui ! Si on organise un tel nombre de concerts par an, il faut que les équipes soient en forme. A partir de maintenant jusque fin juin, il y a des concerts tous les soirs. Et côté financier, on a entre 20 et 25% de subsides, mais sur un budget de 12 millions, il faut gagner le reste ! Il y a aussi l’Horeca et le sponsoring.

Les principales dépenses (en %)

Les principales rentrées (en %)

Les principales dépenses

Les principales rentrées

Mais l’AB reste avant tout un projet artistique. On n’est pas un groupe d’amis qui organisons des concerts, même si ça l’était au début, j’imagine. On ne peut pas se le permettre. Le groupe arrive le matin, la scène est préparée pour eux, ils jouent et quand ils repartent à minuit, tout est démonté. Et dès le lendemain il y a à nouveau 2-3 camions de matériel qui arrivent. C’est comme une ruche, ça ne s’arrête jamais.

Mais vous fermez l’été ?

Oui, on ferme deux mois, c’est nécessaire pour l’entretien quand 320000 spectateurs sont passés par là, il faut rafraîchir un peu. De fin juin à début septembre, c’est fermé. Mais on organise un festival Boterhammen in het Park et Feeërieën fin août.

Comment se passe le choix de la programmation ?

On a une équipe artistique de cinq personnes. Ils reçoivent entre 100 et 150 demandes chaque semaine d’artistes qui veulent jouer chez nous. Leur travail, c’est de choisir une programmation cohérente et de qualité. Pour la grande salle, c’est 60% de programmation de l’équipe. Pour le reste, ce sont des organisations comme Live Nation, Green House Talent, Nada Booking, etc qui organisent des concerts et qui louent la salle pour faire jouer leurs artistes. Mais c’est quand même souvent dans la lignée de ce que nous aurions programmé. Par contre l’AB Club et le Salon, nos deux plus petites salles, c’est 100% programmé par l’AB. C’est toujours un mélange de grands noms et d’artistes émergeants.

Vous accueillez aussi des artistes en résidence…

Oui, on propose de réaliser leur première vidéo, leur premier enregistrement, de jouer en première partie à de jeunes artistes… Ca a été le cas avec Zwangere Guy par exemple… enfin lui c’est un peu spécial parce qu’il a commencé par travailler en cuisine et au bar à l’AB. C’est là qu’il nous a dit qu’il avait son projet musical. Mais il y en a d’autres : Oscar and the Wolf, qui remplit le Sportpaleis aujourd’hui, il a tourné sa toute première vidéo ici. On a enregistré un live aussi : il a été vu plus d’un million de fois, partout dans le monde. On a un rôle d’amplificateur de carrière. Girl in Hawaii aussi, quoi qu’ils fassent, ils seront toujours les bienvenus ici. Et puis, on a un rôle d’archiviste : dEUS par exemple, on a réussi à les convaincre de jouer une série de concerts anniversaire pour les 20 ans de leur album The Ideal Crash, l’an dernier. Au départ, ils n’étaient pas convaincus. C’était prévu qu’ils jouent quatre soirs et ils ont finalement rempli 8 soirs la grande salle.

Vous avez aussi un rôle important pour les artistes bruxellois…

Oui, la scène bruxellois a vraiment trouvé sa place à l’AB. On parlait de Zwangere Guy, mais il y a aussi toute une programmation de musique urbaine. Avant 2014, ils n’y en avait pas, mais on a engagé une jeune programmatrice bruxelloise qui connaît très ça. C’est important de soutenir ces artistes là aussi.

Vous pourriez vous contenter de faire jouer des artistes établis…

Oui, ça serait plus facile. Mais on veut montrer la musique dans toute sa diversité. Les artistes restent fidèles. Stromae a commencé sa dernière tournée ici alors qu’il aurait facilement rempli Forest. Lou Reed a fait son dernier concert belge ici. Underworld aussi est revenu. Comme Oscar and the Wolf, je suis sûr qu’un jour il va revenir. Les artistes savent ce que l’AB a fait pour eux.

En 40 ans, la vie d’une salle de concerts a dû bien changer…

Oui, il faut s’adapter, évoluer. Le live a pris beaucoup de place. Il y a 20 ans, on accueillait 2-3 concerts par semaine. Maintenant les artistes vendent moins de CD, ils gagnent leur vie avec le live. Mais est-ce que le public va suivre ? Est-ce qu’on peut organiser 10 concerts tous les soirs à Bruxelles ? Jusqu’à présent, ça va, mais ce sont des questions qu’on se pose. Et puis les jeunes de la génération Spotify ou Youtube, qui sont habitués à regarder des clips quelques secondes… est-ce qu’ils vont se déplacer, payer pour voir un artiste pendant 90 minutes, sans faire 10 autres choses en même temps ? C’est une génération qui vit la musique différemment et c’est à nous de faire venir ces jeunes pour qu’ils se sentent comme à la maison. C’est pas gagné, on n’a pas encore trouvé la réponse. On organise des concerts gratuits à l’AB Salon. Ils attirent un public différent : plus de jeunes, plus d’étudiants, des gens qui ne viennent pas forcément à l’AB et pas forcément à des concerts. On y travaille.

Mais les plus jeunes vont à des festivals…

Oui, où il y a plein de concerts et d’animations en même temps et ils passent de l’un à l’autre. On ne veut pas devenir un Tomorrowland indoor, une espèce de buffet où on picore. L’AB est un lieu dédié 100% à la musique… vous avez remarqué qu’il n’y a pas de logo de sponsor, pas de bar dans la salle ? C’est pour que le public soit focalisé à 100% sur la musique. Pourtant, on pourrait sensiblement augmenter les revenus du bar en faisant ça. C’est un choix. Pour le public et pour les artistes.

Vos prix sont bas par rapport à des concerts dans de plus grandes salles…

Oui, c’est une volonté de ne pas dépasser un certain prix. Les tickets dans la grande salle c’est en moyenne 25€. C’est un prix fixe de 12€ pour la petite salle. Et à l’AB salon on organise 70 concerts gratuits par an. C’est notre rôle de service public aussi.

Est-ce que la façon actuelle de consommer de la musique via le streaming sur Spotify ou Youtube change aussi votre boulot ?

Oui ! Une carrière peut se construire en quelques mois, voire en quelques semaines. Pour un programmateur c’est plus difficile de suivre. C’est fini le schéma un premier single, puis un deuxième, puis l’album, puis la tournée. Ca va beaucoup plus vite. Il fallait 5-6 ans avant qu’un artiste ait l’envergure pour venir jouer dans une salle de cette taille. Maintenant, c’est le live qui dicte l’agenda. Un artiste ne peut plus se permettre de sortir un disque tous les deux ans, il doit faire l’actualité quasi en continu, être beaucoup plus actif et créatif avec les réseaux sociaux. Les carrières sont aussi plus limitées : je ne sais pas s’il y a des Springsteen dans les artistes qui ont émergé ces dix dernières années.

Le programme des 40 ans

Le 21 septembre, l’AB laisse les clés à 2Many DJ’s et leur label Deewee. Le lendemain, on sera le dimanche sans voitures. « Il y aura une scène dans le piétonnier. On s’est battus pour ça. J’ai hâte ! », s’enthousiasme Dirk de Clippeleir. La programmation sera plus world music. « C’est une façon aussi d’aller chercher d’autre publics. Enfin, ceux qui aiment la musique. On n’a pas un public de niche.  J’ai l’habitude de dire qu’on a un « public Tintin » : de 7 à 77 ans ». 

Mais les célébrations de l’anniversaire de l’Ancienne Belgique s’étaleront sur plusieurs semaines. Et prendront des formes très variées : « L’an dernier, on a atteint un taux de remplissage de 90% dans la grande salle. C’est notre meilleure saison, mais est-ce qu’on n’a pas atteint un plafond ? C’est pour ça qu’on s’ouvre plus sur l’extérieur, pour faire d’autres choses. Notre directeur artistique a décidé d’organiser des concerts dans une église, un concert  d’hommage à Jóhann Jóhannsson à l’église du Béguinage. A La cathédrale Saints-Michel-et-Gudule, on va organiser un concert de Noël des mystères des voix bulgares. On a une collaboration avec les Brigittines (centre d’art contemporain, ndlr) pour organiser un concert de jazz dans leur chapelle. On va aussi faire un concert sur le toit de la bibliothèque nationale. On a une collaboration avec le centre d’art contemporain La Centrale pour un événement autour de Roger Ballen l’artiste qui dessine les pochettes du groupe Die Antwoord. C’est lui qui a convaincu le groupe de venir jouer… On va chercher des partenaires qui nous inspirent, qui nous poussent à faire des choses inédites, pour aller plus loin. Organiser des concerts, on sait faire alors on s’est dit, essayons autre chose. »

Le programme sur
www.abconcerts.be/fr/agenda

Le programme des 40 ans

Le 21 septembre, l’AB laisse les clés à 2Many DJ’s et leur label Deewee. Le lendemain, on sera le dimanche sans voitures. « Il y aura une scène dans le piétonnier. On s’est battus pour ça. J’ai hâte ! », s’enthousiasme Dirk de Clippeleir. La programmation sera plus world music. « C’est une façon aussi d’aller chercher d’autre publics. Enfin, ceux qui aiment la musique. On n’a pas un public de niche.  J’ai l’habitude de dire qu’on a un « public Tintin » : de 7 à 77 ans ». 

Mais les célébrations de l’anniversaire de l’Ancienne Belgique s’étaleront sur plusieurs semaines. Et prendront des formes très variées : « L’an dernier, on a atteint un taux de remplissage de 90% dans la grande salle. C’est notre meilleure saison, mais est-ce qu’on n’a pas atteint un plafond ? C’est pour ça qu’on s’ouvre plus sur l’extérieur, pour faire d’autres choses. Notre directeur artistique a décidé d’organiser des concerts dans une église, un concert  d’hommage à Jóhann Jóhannsson à l’église du Béguinage. A La cathédrale Saints-Michel-et-Gudule, on va organiser un concert de Noël des mystères des voix bulgares. On a une collaboration avec les Brigittines (centre d’art contemporain, ndlr) pour organiser un concert de jazz dans leur chapelle. On va aussi faire un concert sur le toit de la bibliothèque nationale. On a une collaboration avec le centre d’art contemporain La Centrale pour un événement autour de Roger Ballen l’artiste qui dessine les pochettes du groupe Die Antwoord. C’est lui qui a convaincu le groupe de venir jouer… On va chercher des partenaires qui nous inspirent, qui nous poussent à faire des choses inédites, pour aller plus loin. Organiser des concerts, on sait faire alors on s’est dit, essayons autre chose. »

Le programme sur
www.abconcerts.be/fr/agenda