L’Union éblouit la D1 sur la pelouse. Mais dans les tribunes, les supporters n’ont pas attendu cette saison magique pour s’afficher en jaune et bleu. Ce sont eux aussi qui font du parc Duden cette enceinte si particulière. Sans doute plus familial, sans doute plus féminin, sans doute plus bobo aussi, le public de la Butte reste atypique dans le foot belge. L’Avenir a rencontré quelques fans avant le début des play-off. 

Avec Rémi et Otis, leur papa a marqué deux goals pour l’Union

« La tribune en béton, c’est la meilleure. On voit tout le terrain alors que derrière le goal, on voit moins bien ».

Ils ont déjà des habitudes de vieux briscards des latérales, Rémi et Otis. Pourtant, leur papa doit parfois les soutenir sur les balustrades métalliques du parc Duden pour qu’ils puissent voir la pelouse entre les écharpes et les grandes gueules de « la butte ». Alors souvent, les deux kets de 10 et 6 ans descendent au niveau du gazon. « On est plus près des joueurs. Mais depuis le covid, ils ne viennent plus nous saluer ».

Les deux petits Saint-Gillois vont au stade Marien « depuis toujours ». Du moins quand le match est en journée. Avec leur papa, Géraud, ils débarquent « tôt avant le coup d’envoi parce qu’il aime bien parler avec ses copains ». L’histoire bégaye : le paternel lui-même a été initié par son père et son grand-père. Mais marque une césure à l’adolescence. Avant de revenir aux jaune et bleu « à la trentaine ». Il s’intoxique du temps de la D3. C’est surtout l’ambiance, la camaraderie, qui l’aimante. Il s’offre quelques déplacements mais zappe la Pro League à la télé. « Sauf depuis la montée en D1 ».

Le Japonais Mitoma, c’est le préféré d’Otis « parce qu’il dribble bien ». Dans son top aussi : Undav, « qui marque souvent des goals », et Burgess « qui fait des têtes ». Rémi cite Vanzeir et le keeper, Moris. Leur souvenir préféré des Apaches : le fameux match contre Seraing, « quand ils ont mis 4 goals en 2e mi-temps alors que c’était 0-2 ». Les deux entonnent le chant de la victoire : « Ici, ici, c’est Saint-Gilleeeuh ».

Géraud « ne boude pas son plaisir » de voir l’Union en D1. « Pour l’instant, l’atmosphère n’a pas encore changé. C’est la fête, ça reste bon enfant ». Y a quand même une différence ? « Avant, il se passait plus de choses dans les gradins que sur le terrain. Je laissais traîner mes oreilles. On entendait des trucs… Là, ça se perd un peu mais ça joue mieux ! » Celui qui travaille dans le cinéma assure qu’il ira au Bempt si ses y couleurs déménagent. « Et j’irai aussi à Louvain s’il faut y aller pour voir la coupe d’Europe ».

Le Saint-Gillois avoue quand même que ses gamins lui donnent des sueurs froides quand il les supporte au rugby. « Ils jouent à Anderlecht. Alors ouais, ça le fait mal de crier “allez Anderlecht !” Ouais ouais, c’est pas facile… » Heureusement, le mauve est pas près de s’imposer dans leur cœur. Otis : « En regardant comment on joue, je pense qu’Anderlecht, on va les éclater ! »

Jitske, au match à l’Union comme au théâtre

« Pour moi, l’Union, ça n’a rien à voir avec le cool. C’est tout à fait normal d’aller là-bas. Oui, c’est bobo. Oui, c’est branché. Mais pour moi, c’est le quartier. Et le match le dimanche, ça fait partie des trucs à faire dans le quartier ».

Jitske habite dans une tour de la place Albert. De son appartement, elle pourrait voir le stade Marien s’il n’était logé au fond de l’immense parc qui les sépare. Elle dit qu’elle n’est « pas une grande fan de foot ». Pourtant, ce n’est pas le premier club que cette ancienne travailleuse d’une compagnie de danse fréquente. « Mon papa m’emmenait au Cercle de Bruges quand j’étais petite ». Dans la Venise du Nord, elle a aussi vu jouer les Blauw & Zwart.

Établie depuis 17 ans à Bruxelles, Jitske délaisse un peu les écharpes. « Mais j’ai habité au Parvis de Saint-Gilles. C’est à ce moment-là que je comprends que l’Union, c’est plus que le bar et la petite plaque du vieux tableau des scores, au mur de la brasserie Verschueren. Après chaque match, les supporters se réunissaient dans le quartier. Avec le castar qui lançait les chants ».

« Le match le dimanche, ça fait partie des trucs à faire dans le quartier »

Plus tard, la néerlandophone se rapproche des tribunes jaune et bleu. « J’habite juste derrière le stade pendant 3 ans. C’est à ce moment-là que j’apprends à connaître l’Union ». L’équipe est encore loin des sommets. Mais pour une riveraine, il n’y a pas que le foot là-bas. « La petite buvette est aussi un endroit très connu pour les fêtes : on peut louer la salle et le fût est bon marché ». Les premiers chants que Jitske lance au Marien sont donc ceux du karaoké, sous les fauteuils d’honneur.

Depuis lors, la voisine est devenue supportrice. Ce qu’elle aime à l’Union, c’est « l’ambiance et le côté accessible. Boire une petite bière dans le stade même si c’est interdit depuis le corona. Et puis c’est pas cher. Comme au théâtre. 12 ou 13€ par match si tu es abonné. Alors qu’au Club de Bruges, c’est 50€ ». Autre point fort : « toutes les communautés s’y retrouvent. Et j’ai l’impression qu’il y a plus de femmes qu’ailleurs », pense la néerlandophone, qui se joint aux chants en français. « Bon, je fais un peu mhhhh mhhhh OUAIS OUAIS ! Au Duden, tadadadada. Mais je m’entraîne avant le match et ça rentre ». Comme les goals pour Vanzeir et Undav.

La riveraine pourrait l’être un peu moins si l’Union déménage. « Le club veut grandir, le stade doit grandir aussi. Mais il faut qu’il reste dans le coin ». Une promenade dominicale vers le parc du Bempt ne rebuterait donc pas Jitske. « Mais il faudrait que le parc à containers bouge, parce que ça sent trop mauvais », glisse celle qui tâtait le cuir là-bas avec le Maccabi jusqu’à la pandémie. Et qui n’est pas contre une réaffiliation dans une équipe féminine si celle-ci pouvait jouer dans un Duden délaissé. « Par contre, si l’Union devient trop gros, j’hésiterai à y aller. Avec une énorme masse de supporters. Comme pour la Champions League ». Et en cas de retour en D1B ? « Je continuerais à suivre, c’est sûr ».

L’Union ne laisse pas Christine de glace

La bière et le foot : l’association est classique. Mais les glaces et le foot : ça c’est plus original. Pourtant, cette équipe insolite se formera à Saint-Gilles durant les play-off.

Nanouk prépare en effet dans le plus grand secret une gourmandise glacée aux couleurs de l’Union. Pour le jaune, mangue : rien de surprenant. Mais le bleu ? « J’ai utilisé un extrait de spiruline. Cette algue est verte. Mais j’ai déniché un colorant bleu », révèle, pas peu fière, l’artisane Christine Waignein. « Le parfum, c’est fior di latte. Une glace à rien, quoi. Mais j’en suis assez contente. Elle est 100 % naturelle évidemment. Et comme la spiruline est un superaliment, en manger fera devenir beau et intelligent ».

La passion de Christine pour le foot remonte à l’enfance. « Je suis la cadette d’une famille de 3 filles. Mon père était déçu que personne ne l’accompagne au Club de Bruges, son équipe », relate la native d’Ypres. « Quand j’ai eu 13 ou 14 ans, il a décidé que je serais le garçon de la bande ».

Depuis lors, la passion du foot « et de tous les autres sports » n’a pas quitté la glacière. « J’ai vécu en Espagne, à La Corogne. Le copain de ma colloc anglaise supportait le Deportivo. Je les accompagnais au stade ». Plus tard, avec son mari liégeois, « on a toujours été voir des matchs. Partout ». Et c’est lors d’une banale promenade au parc Duden que l’idée de frayer davantage avec l’Union titille le couple. « On entendait les chants. On a donc pris un billet ». Le coup de foudre remonte à trois ans.

Très vite, 4 abonnements programment les dimanches en famille : les deux filles du couple viennent aussi au stade. « Mon aînée joue au basket chez les Runners, ma cadette au football au Maccabi ». Seule cette dernière garde ses habitudes au Marien. « En hiver, c’est pas rare qu’on regarde 4 matchs par week-end à la télé », avoue l’artisane, qui projette de suivre son équipe en déplacement. « Mais pendant la saison des glaces, c’est déjà difficile d’aller chaque fois à domicile ».

« On y va parce que c’est local. Et y avait pas plus local comme équipe ».

Comme pour ses glaces, Christine supporte donc en circuit court. « On y va parce que c’est local. Et y avait pas plus local comme équipe. On y retrouve des gens qu’on connaît. Et je chante. J’adore Saint-Gilles : la tribune, ça renforce mon ancrage ». L’élue Écolo précise : « J’y allais avant d’être conseillère communale ».

D’ici un titre éventuel, Christine réfléchit à la façon d’agglomérer les deux couleurs sur le même bâtonnet. Elle avait pensé avertir le club de sa trouvaille. Mais elle est trop modeste. Quoiqu’il arrive sur la pelouse, les gourmands risquent de fondre pour l’Union en bordure du Parvis.

Fabrice, à l’Union la semaine et à l’Union le week-end

Fabrice a fait toute sa carrière en jaune et bleu. Comme supporter de l’Union. Le club. Mais aussi comme barman de l’Union. La brasserie. Sur le Parvis, personne n’ignore la passion du volubile garçon à la tignasse blonde et aux oreilles percées. Pourtant, le Bruxellois arpentait le bois de son comptoir avant le béton de la tribune est.

« C’est l’ancien patron du café qui m’a emmené. J’ai dit : “t’es fou de vouloir me mettre en cage comme un animal”. Moi j’avais l’image des hooligans, de la bagarre. Je suis allé en tribune couverte. Y avait que des vieux ! ça remonte à 25 ans facile ». Très vite, Fabrice prend ses quartiers dans la tribune debout « avec des gens de mon âge ». Il ne l’a plus quittée.

C’est l’époque de la D3. « On me disait que j’étais un supporter de loosers ». Fabrice s’en fout. Il se marre. Avec le Scheile-side, son club de supporters qui s’ajoute aux Fidèles et aux Unionistes Réunis de l’époque, il parcourt toute la Belgique. « On partait en bus avec cette compagnie turque. Ils avaient des minibus d’école avec des bans en U. On allait partout. Je me souviens d’un match à Walhain. On a perdu 5-0 mais on est resté à la buvette, debout sur les tables. Les mecs d’en face, ils comprenaient pas ».

« J’étais contre le CST.  Alors je prêtais mon abonnement à des clients du bar. Mais en voyant l’ambiance à la télé, j’avais l’sur ».

La nostalgie de « l’époque où on n’était pas 500 dans le stade » taraude un peu le barman. « Tu allais au match et tu retrouvais les joueurs au club house pour boire des verres. Je me souviens de Michel Moyaux. Un attaquant. Il adorait la Rodenbach. Et un jour l’Union joue à Roulers. C’était le club de la brasserie. On lui dit “Michel, viens boire une, ça sort direct de la brasserie !” Les autres joueurs ont dû descendre du car pour l’extirper de la buvette ». Et aujourd’hui ? « Avec la professionnalisation, ils sont tous à l’Aquarius. Ils boiront une pinte s’ils sont champions ».

Dans les tribunes par contre, l’entrée en D1 n’est pas encore digérée du côté des pompes à bière. « C’est la croix et la bannière. Ils sont pas organisés ». Dur. Mais pas au point de regretter l’exil au Heysel durant la rénovation du Marien. « C’est moche, hein, là-bas. La première saison, j’avais pris mon abonnement. J’me suis fait chier. J’avais l’impression d’être en Roumanie pour un discours de Ceausescu. La 2e année, j’suis resté chez moi ». Comme durant le Covid. « J’étais contre le CST. J’allais pas faire un test à chaque match, même à prix réduit à la pharmacie partenaire du club. Alors je prêtais mon abonnement à des clients du bar. Mais en voyant l’ambiance à la télé, j’avais l’sur ! » Le fan sait qu’il risque de retourner au Heysel si l’Union est championne. Et que son club est à l’étroit au Duden. « J’ai les boules qu’on déménage. Mais tu sais rien faire au Duden. Même pour un bête match contre le Beerschot, c’est trop petit ».

Fabrice le promet : « Je serai pas déçu si on ne gagne pas le titre. Allez, c’est que des joueurs qui viennent de divisions inférieures. Regarde Undav : il vient de D3 anglaise. À son arrivée, j’avais l’impression qu’y bouffait que des durums. Mazzu l’a transformé. Là, c’est le meilleur attaquant d’Europe. Alors champions, ça serait trop fort. Dans un championnat normal, on le serait. Ce système des play-off, c’est merdique. Mais même 4e, ça serait déjà fantastique ! Je croyais que je verrais jamais l’Union en D1 avant ma mort. Maintenant, j’ose plus rien dire ! »