Dans un café situé à proximité de l’échangeur de Loncin, quelques membres du « Fast-Side », un noyau dur du RFC Liège, profitent d’un vendredi ensoleillé pour se retrouver autour d’un verre et peaufiner les derniers préparatifs avant le déplacement du week-end. « Pour l’instant, j’ai reçu une quarantaine de confirmation, lâche un des gars. Mais comme d’habitude, j’imagine que les autres s’ajouteront au groupe en dernière minute. Sinon, j’ai appris que des mecs du Sparta Rotterdam feront le voyage avec nous. Cool, hein ?! » A une dizaine de matches de la fin du championnat, les supporters du matricule 4, un des clubs historiques du foot belge, comptent bien pousser leur équipe vers les sommets de la D2 amateurs. « Parce que les terrains de foot perdus dans les campagnes, ce n’est pas notre truc. Nous, ce qu’on veut, c’est retrouver de belles tribunes, des stades qui correspondent plus à l’image du club et ses supporters. De vrais gros chocs contre Hasselt par exemple, voilà ce qui nous manque. » En attendant, le noyau dur liégeois conforte chaque week-end un peu plus sa réputation au sein de sa division.

Car, s’ils sont connus pour mettre l’ambiance au bord des terrains avec leurs chants et leurs fumigènes, les membres du « Fast-Side » sont aussi réputés pour leurs débordements. Comme en 2015 où ils ont été à l’origine d’une bagarre qui a éclaté au stade des Géants, à Ath. « Et pourtant, vous pouvez le constater, nous ne sommes pas spécialement violents au quotidien, déclare leur leader d’une vingtaine d’années dont la bonhomie, les bons mots et la voix posée font de lui un interlocuteur assez sympathique. Parmi nous, il n’y a aucun criminel par exemple. On mène tous une vie normale : on a une famille, on bosse, on sort entre copains,… Seulement, le week-end, c’est différent. Quand on va au foot, on se transforme. » Au bac le tablier du mécano ou le costume de l’agent bancaire, tous enfilent un style plus « casual » pendant ces deux journées, à l’image des tenues sombres que portaient les hooligans anglais dans les années 80 afin de ne pas être reconnus des autorités.

« En fait, dans notre milieu, certaines habitudes ont changé avec le temps mais pas le hooligan en lui-même, résume Eric (*), bientôt 50 ans et supporter « acharné » du Standard « depuis plus de 40 ans ». Avant, dans les années 80, le contexte social et économique était différent : une partie de ceux qui cherchaient l’affrontement lors des matches étaient sans emploi ou avaient une vie privée assez compliquée. Aujourd’hui, c’est moins le cas. Bien sûr qu’il y a toujours des cas plus “marginaux” parmi nous, mais ils sont moins nombreux. J’ai l’impression que l’image du chômeur un peu bourré qui met des pains à gauche et à droite à la sortie du stade ne colle plus trop à la réalité. »

Fini l’époque où les supporters se donnaient rendez-vous à l’extérieur avec un bout de papier glissé de main en main, les rendez-vous se fixent désormais par smartphones ou sur les réseaux sociaux. Les mœurs changent, les tendances aussi. « Par exemple, il y a 30 ans, on adorait la mode punk-skinhead qui nous venait d’Angleterre, se souvient Eric. C’était tendance comme on dit. C’était aussi une façon de se démarquer. Seulement voilà, avec les années, ça nous est passé parce qu’on a eu des enfants, qu’on a pris de l’âge et que ça ne plaisait pas vraiment aux employeurs.

Dans une tribune, on oublie un peu qui on est. On redevient plus “primaire”. C’est un sentiment difficile à expliquer

Mais à l’inverse, le mouvement « casual » se perpétue. Pourquoi ? Parce que ça correspond notamment à la volonté des membres des noyaux durs de rester anonyme. » Rester discret sur leur pratique – « Histoire que la police ne rajoute pas non plus une ligne supplémentaire à notre palmarès » – voilà ce que cherche la majorité des hooligans. « Entre nous, on se connaît tous ou presque, explique « Brute » (**), un des leaders du « Fast-Side ».

D’ailleurs, on se reconnaît très vite dans la rue, même quand il n’y a pas de match. Certaines attitudes, certains looks ou certains regards nous mettent la puce à l’oreille. On sait alors qu’on peut agir et parler différement. Par contre, avec les personnes qui ne savent pas vraiment ce qu’on fait dans les tribunes ou aux abords des stades, c’est différent… Il y a comme une barrière.

Moi, par exemple, les gens de ma famille ou mes collègues de travail ne savent pas du tout ou pas exactement ce que je fais, et je ne compte pas leur en parler. Ce qui se passe au foot reste au foot. Ça a même déjà brisé quelques couples chez nous. Heureusement, la famille est là pour nous réconforter quand ça va moins bien. »

Et la famille, c’est le noyau dur.

[rev_slider alias= »chap3-2″ /]

De Charleroi à Houffalize en passant par Namur et Bruxelles, tous les hooligans tiennent le même discours qu’Eric : « Mes potes du foot, c’est ma famille ! » Et le supporter des Rouches de partir de son expérience personnelle pour étayer son propos. « Pourquoi est-ce que j’aime autant le Standard ? Parce que j’y retrouve une ambiance incroyable mais aussi des mecs avec qui j’ai grandi et avec qui j’ai fait des trucs invraisemblables.

Avec certains, quand j’étais plus jeune, on se voyait tous les jours dans les cafés qui se trouvent aux alentours de la gare des Guillemins. Et le week-end, en dehors des matches, on se retrouvait dans les mêmes soirées. Entre eux et moi, c’est “à la vie, à la mort”. Pour ça, les bagarres, ça soude. » Même son de cloche dans le camp des « Fast-Side ».

« A la base, on est presque tous originaire de la même région, explique « Kix » (**) dont le tatouage “R.F.C.L.” sur l’avant-bras témoigne de son amour inconditionnel pour le matricule 4. Mais le fait de partager la même passion pour le R.F.C. Liège et le fait qu’on puisse se serrer les coudes dans des moments très chauds, quand ça cogne par exemple, ça renforce nos liens. En fait, si je sais qu’un de mes potes est prêt à s’en prendre une pour me protéger, je sais que je peux compter sur lien quand j’aurai besoin d’aide. »

Tantôt « frères », tantôt « compagnons d’armes », les hooligans belges ont beau se fritter dès que l’occasion se présente, ils n’en restent pas moins conscients d’appartenir à une caste très privée. « On n’intègre pas un noyau dur par hasard », confirme Nicolas (*), un étudiant de 23 ans, « Zèbre de cœur », rencontré via les réseaux sociaux.

« Il faut en avoir dans le pantalon et faire ses preuves pour prouver qu’on mérite le respect des autres gars. » Et dans le cas où un supporter trahit la confiance du groupe ? « Ça dépend des circonstances mais ça peut mal se passer, prévient Eric. Perso, j’en connais qui n’ont plus intérêt à venir au stade. »

Parce qu’ils ont un peu trop copiné avec la police ou parce qu’ils ont laissé tomber quelques membres du groupe lors d’un affrontement un peu musclé, certains supporters sont donc devenus « persona non grata » dans les tribunes belges. Preuve que le mode de fonctionnement de chaque noyau dur se rapproche aussi parfois de celui du clan, avec ses alliances et ses rivalités.

« Au R.F.C. Liège, on a toujours entretenu de supers relations avec les ultras du CS Bruges et les hooligans de l’Antwerp. Par contre, on ne supporte pas les gars du Beerschot ou de Hasselt. » A l’image du « Fast-Side », chaque noyau dur a ses affinités dans le milieu.

« Même si tout le monde cherche à prouver qu’il est le plus fort, il y a des clubs avec qui on se sent plus proche et avec qui on n’a pas envie d’en venir aux mains. Au contraire, on a plutôt tendance à leur venir en aide s’ils le demandent », résume Eric, du Standard. Reste que les noyaux durs peuvent dépasser leurs rivalités dans des contextes plus particuliers. « Lors des matches internationaux, tous les supporters belges sont derrière les Diables, assure le supporter des Rouches. Je me souviens notamment avoir participé à des affrontements face aux Anglais, lors de la Coupe du monde en Italie, où des Liégeois se mélangeaient aux Anderlechtois et aux Anversois. »

Je suis persuadé que presque tout le monde côtoie au moins un « hool » dans la vie de tous les jours. Seulement, on ne s’en rend pas compte

Plus récemment encore, les hooligans belges s’étaient rassemblés quelques jours après les attentats du 22 mars, place de la Bourse à Bruxelles, pour sonner la charge contre l’Etat islamique. « Même si l’ambiance était très particulière sur place, je pense que les gens se sont rendus compte à quel point on pouvait être nombreux en Belgique », note « Brute ».

« Il n’y a pas si longtemps je lisais un article où on disait qu’il y avait 800 interdits de stade en Belgique. C’est sans doute vrai, mais c’est assez trompeur comme chiffre. Parce qu’on pourrait croire qu’il n’y a que 800 hooligans chez nous alors qu’on est finalement beaucoup plus nombreux que ça ! » Sa veste fermée jusqu’au cou et la bouche couverte d’un bandana sombre, Nicolas (*), le supporter carolo, ironise souvent sur ce qu’il peut lire dans la presse concernant sa « deuxième passion, après les Zèbres ».

« On nous présente presque toujours comme des tarés qui se foutent sur la gueule à la moindre occasion, mais c’est une vision des choses beaucoup trop simpliste, estime-t-il. Il faut passer du temps dans les tribunes et parler avec les gens pour se rendre compte que nous ne sommes pas les bêtes curieuses qu’on décrit. En fait, je suis persuadé que presque tout le monde côtoie au moins un « hool » dans la vie de tous les jours. Seulement, on ne s’en rend pas compte. Il y a même des femmes parmi nous. En fait, on n’est pas si différent que ça, vous et moi… Là où les autres adorent cuisiner ou jouer aux jeux vidéos, moi je suis accroc aux “fights” des matches. »

Tous motivés par l’adrénaline de leur pratique – « Ce qu’on ressent quand on chasse les autres noyaux durs aux abords du stade, c’est incomparable » – les hooligans belges ont pourtant de moins en moins l’occasion de s’affronter. En cause, des services de police de plus en plus présents avant, pendant et après les matches. « Cela fait presque 20 ans (depuis l’application de la loi football signée en 1998, NDLR) qu’on est très surveillé par les autorités. Contrairement aux années 80 et 90 où il y avait des bagarres à tous les coins de rue, tomber nez-à-nez avec des noyaux durs adverses devient super rare. Aujourd’hui, on est dans la répression constante », estime Eric, dont l’interdiction de stade de trois ans arrive à échéance.

Le free-fight comme échappatoire ?

Face aux mesures restrictives prises par la police, les bagarres entre hooligans sont devenues de plus en plus rares en Belgique. Ce qui a poussé certains d’entre eux à se retrouver lors de bagarres « secrètes ». C’est le phénomène des « free-fights ».

« En fait, c’est une évolution du hooliganisme, observe Eric, supporter du Standard depuis plus de 40 ans. Les gars qui ont toujours aimé la bagarre et qui étaient déçus de ne plus pouvoir se fritter aux abords du stade, comme moi, ont trouvé un autre moyen de se rencontrer, en dehors des zones habituelles. »

Dans les bois, sur une aire de repos ou dans un parking isolé, tout endroit « un peu discret » fait l’affaire pour ces supporters en manque d’action.

De plus en plus populaire en Belgique, ce « hooliganisme 2.0 » ne séduit pas tout le monde pour autant. « Pas assez spontané », selon les membres du « Fast-Side ». « L’idée qu’il faut se donner rendez-vous et qu’on doit se retrouver parfois plusieurs jours avant le match à un endroit qui n’a aucun rapport avec le football, ça ne nous parle pas de trop, explique un de leurs leaders. On a déjà été contacté pour faire une rencontre de ce type mais ça n’a jamais abouti. » Eric, lui, a sauté le pas. Deux fois seulement. « J’étais surtout curieux. Mais après coup, je me suis vite rendu compte que ce n’était pas pour moi. J’aime bien me bagarrer mais là, c’était trop. Les mecs en face sont trop bien préparés : on sent qu’ils font beaucoup d’arts martiaux, de la boxe ou du MMA. Et là, ça devient dangereux pour un type comme moi qui fait surtout ça pour se défouler. »

Dépassé par ces confrontations entre supporters d’un nouveau genre, Eric rejoint l’avis des membres du « Fast-Side » : « En fait, je pense que le football est juste un prétexte pour ces mecs qui participent aux free-fights. Je parie même qu’une bonne partie d’entre eux ne connaissent même pas l’avant-centre de leur équipe. »

Les policiers sont tellement sur notre dos qu’ils ont déjà même fait appel à un hélicoptère pour suivre notre bus lors d’un déplacement. Ils en font trop. On se sent criminalisés.

A quelques kilomètres de Liège, « Brute », un des leaders du « Fast-Side », purge une interdiction de stade de… 18 ans. « Et peut-être bientôt 20 ans », sourit-il. Pas de quoi l’empêcher de se rendre aux matches. Et d’accompagner ses potes du R.F.C. Liège dans leurs « sorties ». « C’est plus fort que moi. Je ne m’imagine pas rester chez moi à attendre de savoir ce qui s’est passé. J’ai besoin de ressentir l’ambiance, l’excitation sur place. » Et tant pis si les policiers les attendent de pied ferme. « De toute façon, je suis trop connu. Ils nous tiennent à l’œil continuellement. Ils sont tellement sur notre dos qu’ils ont déjà même fait appel à un hélicoptère pour suivre notre bus lors d’un déplacement. Ils en font trop. On se sent criminalisés. » Et les autres membres du noyau dur liégeois d’enchaîner : « C’est dingue la façon dont ils nous traitent la plupart du temps. Ils nous donnent l’impression qu’on est plus dangereux que des truands. On se souvient tous d’un déplacement récent à La Calamine où les policiers qui nous encadraient étaient plus nombreux que nous. Ou cette fois où on a été fouillé directement à notre arrivée à Berchem : on n’a pas eu le temps de sortir du car que les policiers nous ont mis torse nu pour vérifier qu’on ne cachait rien. C’est exagéré ! Dans ces cas-là, c’est normal que les esprits s’échauffent, non ? »

La police, l’ennemi commun de tous les hooligans. « Les autorités vont trop loin, ajoute Eric. Je peux comprendre que les spotters font tout pour éviter les confrontations entre supporters car on ne sait jamais jusqu’où ça peut aller, c’est vrai. Mais là où j’ai du mal avec cette nouvelle politique, c’est quand les autorités obligent les supporters à acheter des tickets combi pour les rencontres à l’extérieur ou quand ils mettent les gens à l’amende pour avoir fait un doigt d’honneur dans le stade. Monter sur des grillages ou pousser une gueulante, ça fait partie du folklore footballistique après tout. Ce que j’en conclus, c’est que l’Etat a trouvé là une nouvelle façon de se remplir les poches. » Entre 250 à 5.000 euros l’amende, la note peut vite être salée. Même si, dans les situations les plus extrêmes, chaque noyau dur se cotise pour aider ses membres à payer sa dette. « En fait, il n’y a que les condamnations judiciaires et les très grosses amendes qui ont tendance à nous fait réfléchir sur les conneries qu’on a pu faire, avoue « Kix » du « Fast-Side ». Mais comme on sait qu’on peut compter sur la famille, l’idée d’arrêter nous passe assez vite. Et on repart encore plus motivé qu’avant. » En attendant avec impatience le prochain week-end.

(*) Le prénom a été modifié par souci d’anonymat

(**) Leur surnom dans le milieu