« Entre le Standard et moi, c’est une longue histoire d’amour qui a débuté il y a un peu plus de 30 ans, raconte ce Liégeois pure souche de 51 ans. Et pourtant, au départ, le football ne m’intéressait pas du tout. Je me souviens que des copains de classe m’avaient d’abord emmené voir le R.F.C. Liège, mais je n’avais pas accroché. Dans la foulée, un autre ami m’avait convaincu de l’accompagner à Sclessin. Directement, je suis tombé sous le charme du club. J’avais 16 ans et je savais déjà que je serais lié à vie au Standard. »

Encore ado, Christian Hannon se fera vite une petite place dans les travées du stade Maurice Dufrasne. « Avec mon copain de classe, on assistait aux matches dans ce qu’on appellait alors le kop. On était très proche d’une quinzaine d’autres jeunes de notre âge et, petit à petit, on a intégré le Hell Side », un noyau dur inspiré du hooliganisme britannique et qui a beaucoup fait parler de lui dans les années 90.

« Dans les années 80 et 90, le Hell Side (ou HS81 pour les initiés, NDLR) était surtout connu pour les débordements de ses membres, se souvient-il. Ce serait bête de le nier : si on s’est surtout démarqué au début par nos chants à l’anglaise, qui étaient un peu plus agressifs, ce sont nos affrontements avec d’autres groupes de hooligans et nos déboires avec la police qui ont fait notre réputation. »

Pendant 16 ans, Christian Hannon a supporté le Standard sur tous les fronts. Toujours en compagnie de ses frères du HS81. « Le football était une sorte de défouloir pour nous qui travaillions beaucoup pendant la semaine. C’était comme une bouffée d’oxygène. Et les rixes avec les autres supporters, ça faisait partie de notre rituel. » Pourtant, avec le temps qui passe, celui qui est considéré alors comme un des leaders du Hell Side ressent le besoin de vivre autre chose. « Je venais d’entrer dans la trentaine et j’étais devenu papa. Mes priorités n’étaient plus les mêmes. Et c’est à ce moment-là qu’un membre du Standard m’a fait une offre un peu étrange… »  En quelques mois, l’ancien hooligan va changer de vie.

Un passé sulfureux

S’il est une certitude à propos de Christian Hannon, c’est que l’homme n’est pas du genre à garder sa langue en poche. Et il n’est pas non plus du genre à renier son passé, même s’il n’en est « pas toujours fier ».

« Ce que je déteste chez les supporters qui commettent des infractions et qui sont punis dans la foulée, c’est leur mauvaise foi crasse, soupire-t-il. Je ne vais donc pas commencer à minimiser des faits que j’ai commis il y a des années. J’ai parfois déconné mais j’assume toujours. »

Et l’actuel responsable de la sécurité du Standard d’évoquer le modèle de supportérisme anglais, « avec son folklore parfois violent », auquel il s’identifiait dans les années 80 et 90, le look casual qu’il avait adopté – « même si personne ne passait vraiment inaperçu lorsqu’on était 500 à déambuler avec le même style » – et les déplacements qui forgent les caractères.

Même si je n’ai pas fait que des choses légales, j’estime ne pas être un ércevelé assoifé de sang pour autant.

« Comme tous les hooligans que j’ai connu à l’époque ou ceux que je côtoie encore maintenant, c’est l’adrénaline que procure cette pratique qui attire, explique Christian Hannon. Se sentir en danger, ne pas savoir ce qui va se passer exactement, se trouver confronté à des mecs qui veulent en découdre, ne pas savoir si on va s’en sortir correctement… Tout ça, c’est très grisant ! Balancer un pavé dans un car de simples supporters, ça n’a jamais eu aucun intérêt. Mais tenter de trouver le noyau dur d’en face pour voir ce qui va se passer, c’est… différent. Difficile à expliquer. »

Nostalgique, Christian Hannon ? « Vraiment pas ! Mais je pense qu’assumer ses conneries, c’est une nécessité. »

« C’est un ancien responsable de la sécurité qui est venu me trouver, explique le supporter liégeois. Il savait que je travaillais de temps en temps comme sorteur et il m’avait déjà vu à l’oeuvre. Visiblement, ma façon de faire lui avait plu puisque quelques mois plus tard, il m’a demandé si ça m’intéresserait de remplacer le chef des stewards qui sont placés devant la T1 (la tribune familiale de Sclessin, NDLR). Pour moi qui avais besoin de changement, c’était l’offre parfaite. Et c’est assez logiquement que j’ai accepté. C’est vrai, quoi ! Qui refuserait de travailler pour son club de coeur ? »

Durant plusieurs mois, Christian Hannon franchit les barrières de sécurité. Légalement. Et avec l’accord du club. Une certaine routine s’installe jusqu’au jour où une nouvelle proposition lui est faite. « Quand l’ancien responsable des stewards a quitté son poste, on m’a demandé si j’étais partant pour endosser son rôle. Je n’ai pas pu refuser. » Et voilà comment, en une quizaine d’années, le Liégeois est passé du HS à la sécurité du Standard.

« C’est clair que les débuts dans ma nouvelle fonction n’ont pas été faciles. Pour certains de mes anciens camarades du Hell Side, je ne suis qu’un traître. Pire, je suis quasiment un policier à leurs yeux. Et pour les autorités, ça a jeté un froid de me voir arriver à ce poste. » Pour les policiers du bord de Meuse, c’est clair : le loup est entré dans la bergerie. « A l’époque, le bourgmestre avait même sonné à Pierre François, qui m’avait nommé à mon poste actuel, pour lui dire qu’il était fou de mettre un hooligan dans le poste de commandement. » Et ce ne sont pas les premières réunions entre les différents prétendants qui vont calmer les esprits…

Comme je le dis aussi aux supporters liégeois, ce n’est pas parce que j’ai volé un chips quand j’avais six ans que ça veut dire que j’ai toujours été un voleur et que j’autorise tout le monde à faire de même.

« Les sous-entendus étaient clairs, se souvient l’ex-hool. Les autorités me voyaient comme un indic’, alors que ça n’a jamais été le cas. Ma réponse a été rapide : le fait de connaître ces supporters à risque est un atout que je ne veux pas perdre en devenant une balance. Dès ce moment-là, les rôles de chacun ont été très clairs et ils ne m’ont jamais mis en porte-à-faux. J’ai même entendu dire que la formule prônée par le Standard, avec un gars comme moi à la sécurité, n’était pas si idiote que ça. » Comme quoi, c’est peut-être bien avec les braconniers qu’on fait les meilleurs gardes-chasse. De là à penser que le calme revient dans les tribunes dès que Christian Hannon apparaît, personne n’ira jusque-là.

Car, s’il possède une certaine autorité et « une vraie expérience du terrain », le responsable de la sécurité de Sclessin doit, « de temps en temps », faire face à des « résistances naturelles » : « Je pense que mon passé dans les tribunes m’a déjà aidé à me faire mieux comprendre auprès de certains supporters. Ils savent que je ne parle pas pour rien dire et que j’ai également connu certaines situations un peu chaudes. Mais ça ne les empêche pas tous de penser que je suis passé de l’autre côté et que j’ai oublié d’où je venais. » Et l’homme de se souvenir de certains de ses anciens potes avec qui il est désormais presque impossible de nouer encore le contact.

Le free-fight, « un hooliganisme d’un nouveau genre »

C’est Christian Hannon lui-même qui le pense : « L’évolution actuelle du hooliganisme, c’est le free-fight. » Et l’ancien membre du Hell Side a son avis sur le phénomène.

« Concrètement, si je résume ce qu’on m’en a dit, des groupes de supporters se retrouvent dans les bois pour se foutre sur le nez, lâche le responsable liégeois. A l’image de ce qui se faisait déjà  l’époque du BCS (le noyau dur d’Anderlecht, NDLR), ceux qui ont lancé le mouvement ont recruté des gars qui n’avaient pas grand-chose à faire avec le football. Je n’ignore pas que certains membres des « Youth » (le groupe des free-fighters liégeois, NDLR) sont de véritables supporters du Standard et que, comme nous à l’époque, ils considèrent les free-fights comme une activité connexe à leur statut de vrais supporters, mais j’imagine qu’ils demandent plutôt à des partenaires d’entraînements (boxe, MMA,…) de venir se défouler avec eux dans le cadre d’un match plutôt que d’aller voir un match et se défouler peut-être ensuite face à des noyaux durs. De mon point de vue, la nuance est grande. »

Assez « peu concerné », voire même « très hermétique » à ce phénomène, Christian Hannon reconnaît être inquiet par l’ampleur qu’il prend en Belgique. « Quand on retrouve ces gens dans les tribunes, ça se passe assez mal car ils ne connaissent pas les codes, explique-t-il. Au final, ce que je redoute un peu, c’est que leur aura ne prenne encore plus d’ampleur auprès des autres supporters. » Et l’ancien hool de se souvenir de deux récents rendez-vous européens du Standard où le drapeau des « Youth » se trouvait en tête de cortège. « Voir que des mecs pourtant très calmes en temps normal, qui ne sont même pas spécialement des ultras, étaient fiers de poser derrière ce drapeau, ça m’interpelle. Et ce, même si je ne crois pas que ces gars-là iront se joindre aux Youth pour aller se fritter dans les bois. »

De tous les matches (ou presque) du Standard de Liège, Christian Hannon en a vu défilé des supporters. De quoi se faire sa propre idée sur l’évolution du hooliganisme en Belgique. « A mon époque, dans les années 80-90, on tendait vers le modèle britannique qui était la référence. Aujourd’hui, les supporters sont plus méditéranéens dans leur approche du football, comme les ultras italiens avec leurs tifos. » Selon lui, tout a changé depuis l’application de la loi football votée le 21 décembre 1998 : « Depuis le début des années 2000, tout s’est compliqué pour les hooligans belges qui ont vu les autorités serrer la vis sur leurs pratiques. Ajoutez à cela des incidents qui ont marqué les esprits et calmé les ardeurs comme celui contre l’Ajax où un supporter hollandais a été grièvement blessé au cours d’une rixe (en 2000, NDLR), et vous obtenez une vraie cassure avec des gars du HS81 qui se retrouvent notamment en prison.

La prise de conscience a été collective. Les tribunes sont devenues un peu plus calmes, ce qui a donné l’idée à quelques membres d’origine italienne du Hell Side, ici au Standard, de mettre en place de petits tifos qui ont finalement pris de l’ampleur pour être ce qu’ils sont aujourd’hui. Est-ce que le mouvement hooligan est mort ? Bien sûr que non ! Il existera toujours des noyaux durs qui profiteront de leur venue au football pour affronter des bandes rivales. Et puis, dans les ultras par exemple, il y a de potentiels hooligans. D’ailleurs, selon moi, ils sont quelques-uns à correspondre à l’idée que je me fais du vrai hooligan. S’ils étaient venus à mon époque, dans les années 80-90, ils auraient certainement intégré le Hell Side. Mais comme il n’y a plus vraiment de Hell Side, même si on parle encore de la Vieille Garde, tout le monde rejoint les ultras puisque c’est là que ça bouge dans les tribunes, c’est là qu’on ressent encore de vraies sensations. »

La bête est là, elle dort. Mais il suffit parfois d’un petit rien pour la réveiller !

Des sensations, voilà donc ce que recherchent les spectateurs, selon Christian Hannon. « Ce qui est certain, c’est que le stade est un lieu d’exutoire. Les gens viennent ici pour se défouler, crier un bon coup avant de reprendre la semaine de boulot. Malheureusement, dans l’esprit de beaucoup, il y a une confusion. Car non, à Sclessin comme ailleurs, tout n’est pas permis non plus. » Mais en habitué des tribunes, le responsable de la sécurité du Standard se montre mesuré. Dans un sens comme dans l’autre.

« Je reconnais que la loi football va parfois un peu trop loin, estime Christian Hannon. Le gars qui fait un bras d’honneur depuis la tribune 3 en direction des supporters d’Anderlecht massés de l’autre côté du terrain parce qu’ils chantent « Standard de merde », il reçoit un P.V. pour provocation et incitation à la haine. Mais à moins que les supporters d’en face possèdent des jumelles, je ne suis pas certain qu’il y ait vraiment de provocation flagrante. Ce n’est pas parce que vous faites un bras d’honneur à un carrefour à un automobiliste qui vous a coupé la route que vous allez recevoir une amende, hein ! Hé bien au stade, c’est le cas. Là, je trouve qu’il y a de l’excès. Maintenant, soyons corrects : le gars qui est à côté des visiteurs et qui fait un bras d’honneur dans leur direction, là c’est de la pure provocation et ça mérite une sanction. Bref, je conçois que l’on prenne des sanctions pour des faits répréhensibles mais pas dans le cadre d’une application rigide, voire trop zélée, des règles ou des lois. Donc, effectivement, quand l’auteur commet des actes comme des provocations susceptibles d’engendrer une réaction de l’adversaire, il doit être sanctionné Il faut éviter le sentiment d’impunité et une juste répression joue incontestablement un rôle préventif. »

Je suis aussi du cru. Et quand ça déconne pas mal dans les tribunes, j’avoue avoir la main qui me démange. Je suis sans doute devenu un peu moins tolérant avec les années qui passent. Du coup, je laisse intervenir les stewards.

« Le problème avec les supporters d’aujourd’hui, c’est qu’ils n’ont plus aucun respect pour rien, poursuit-il. Plus de respect pour la police, les stewards,… Mais le problème du football est celui de la société en général : un manque de respect, de civisme et d’éducation. »

Bref, pour Christian Hannon, c’est clair : « L’agitation dans les tribunes belges ne fait que symboliser un certain mal-être des citoyens en général. Bien sûr que tout va mieux quand un club tourne bien et que son équipe de coeur prend des points, mais si la vie de tous les jours était plus sympa avec les gens qui vont au stade, est-ce que vous pensez qu’ils exploseraient au quart de tour comme c’est parfois le cas ? Moi, je n’en suis pas certain. »