Anderlecht. Dimanche 29 janvier 2017, 15h15. Jour de « Clasico » en Pro League. Anderlecht reçoit le Standard. « Bon, pas besoin de vous faire un dessin : le Standard a besoin de points, il doit absolument gagner aujourd’hui. Déjà qu’en temps normal c’est tendu entre les deux camps, on s’attend à ce que ce soit très chaud cet après-midi, même avant le match où les supporters ont prévu un cortège pour accompagner les joueurs. C’est une première alors il faudra être vigilant. Sinon, tout est clair pour vous ? Allez, vous savez ce que vous avez à faire. Soyez prudents. Et bon boulot. »

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Assis à son bureau, le commissaire responsable de la cellule Information et Football de la zone Bruxelles-Midi donne ses dernières instructions à la douzaine d’agents présents devant lui. A la fois serein et concis, l’homme, qui en impose naturellement, connaît bien la musique. « Cela fait plus de 20 ans que je suis spotter, explique celui qui était également présent avec les Belges aux Mondiaux 1998, 2002 et 2014. Concrètement, je suis et surveille les supporters d’Anderlecht afin d’anticiper les débordements. » Parmi les pionners de sa brigade, ce Bruxellois pure souche connaît les alentours du Stade Vanden Stock comme sa poche. « Dans ma jeunesse, je fréquentais un peu le coin car il y avait pas mal de cafés ici. C’était un lieu de rassemblement. Du coup, je connaissais bien les personnes qui y traînaient et qui faisaient parfois du grabuge dans les tribunes. En tant que jeune policier, c’était un plus. Et c’est grâce à ça que j’ai intégré la cellule chargée d’encadrer les supporters. » Une cellule qui a bien changé en près de 30 ans…

Toujours se méfier des nouveaux visages

« Aujourd’hui, tout est différent, lâche le commissaire avec son accent bruxellois typique. Les spotters sont plus nombreux et leur travail s’est diversifié. En plus d’encadrer les supporters dans et aux alentours du stade, il faut aussi scruter ce qui se passe sur les réseaux sociaux par exemple. C’est une nouvelle pratique à laquelle il a fallu s’adapter. Mais rien n’est aussi efficace que le dialogue sur le terrain. » Et du terrain, les spotters anderlechtois vont en bouffer pendant les sept prochaines heures.

15h35. Ca s’agite au croisement de l’avenue d’Itterbeek et de la rue Renée Henry. Pour la première fois, les ultras d’Anderlecht ont choisi d’accompagner le bus des joueurs jusqu’au stade. « Histoire de leur prouver combien ce match est important à nos yeux », résume un jeune fanatique (ou ultra, NDLR) de la « Mauves Army 2003 » avant de reprendre le traditionnel « Et le Standaaaaard, il est champiooooon… Tous les 25 ans ! Tous les 25 ans ! » Dans la foule composée de plusieurs centaines de supporters, on agite des drapeaux mauves et blancs pendant que quelques-uns craquent déjà les premiers fumigènes. Rien de bien méchant mais l’ambiance monte déjà d’un cran.

Tandis que quelques policiers facilitent la circulation des voitures, le commissaire et trois de ses collègues encadrent le groupe de supporters. Discrètement mais efficacement. « Nous ne sommes pas là pour les empêcher de faire la fête, explique le spotter bruxellois. Notre objectif est juste de leur rappeler les limites à ne pas franchir. » Et de garder un oeil sur ces hooligans de l’Ajax Amsterdam qui se sont mêlés au gros de la troupe.

Avec leur casquette vissée sur la tête, leur sweat à capuche noir, une cigarette dans une main et leur smartphone dans l’autre, la petite dizaine de Néerlandais n’a pas besoin de se présenter aux ultras anderlechtois. « Ici, presque tout le monde les connaît de vue, glissera un supporter avant d’entrer dans le stade. S’ils sont venus, c’est parce qu’il existe une rivalité entre l’Ajax et le Standard, comme nous. » Ou comme le dit le proverbe, l’ennemi de mon ennemi est mon ami.

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« Même si on a de bons rapports avec les ultras anderlechtois, on ne sait jamais ce qui peut se passer avec ces supporters qui viennent de l’extérieur, souligne l’inspecteur qui fait équipe avec le commissaire durant ce Clasico. Pour l’instant, ces Hollandais ont juste craqué un feu de Bengale et entonné un chant en l’honneur de leur club. Ce n’est pas grave, surtout qu’on a invité les meneurs anderlechtois à les calmer un peu. Mais il ne faudrait pas qu’ils donnent de mauvaises idées aux autres gars. »

Cela fait trois quarts d’heure que les Mauves donnent de la voix sur l’avenue d’Itterbeek. Au loin, quelques lumières bleues sont visibles : le car des joueurs approche. Pour les supporters, c’est le moment de sortir les fumigènes et de donner encore plus de voix. Et en quelques secondes, le carrefour anderlechtois se transforme en stade de football, tel un avant-goût de la fête qui se déroulera dans les tribunes voisines.

Libérée de la fumée… rouge qui l’enveloppait, la foule se dirige ensuite vers l’avenue Théo Verbeeck en laissant derrière elle quelques canettes de bière et des fumis par dizaines. Quelques mètres plus loin, le commissaire et l’inspecteur avec qui il fait équipe aujourd’hui discutent tout en observant le cortège qui s’avance. Face à eux, la troupe, harranguée par le discours craché au mégaphone d’un de ses leaders,  se serre les coudes et chante son amour du blason. Ca saute, ça se bouscule et ça se sourit. Bientôt 17h00. La foule se dissipe. Fin du cortège.

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Ah, commissaire ! Comment ça va ?

A peine le temps de prendre un café et de manger un sandwich dans les sombres coulisses du stade Vanden Stock que le commissaire et son collègue partent faire un tour vers l’entrée des supporters visiteurs. “Depuis la mise sur pied de la loi football (qui a été adoptée en 1998, NDLR), il est interdit pour les fans belges de se mélanger. Leur déplacement est organisé de telle façon qu’ils ne se croisent pas avant et après la rencontre. Cela évite des problèmes inutiles, même si les “rivaux” les plus acharnés trouveront toujours le moyen de se retrouver en dehors du stade, ou à un autre moment de la semaine, comme c’est plus souvent le cas dans des matches européens.” Mais ce soir, rien de tout ça… Excepté une petite brouille entre deux supporters liégeois, l’ambiance est plutôt sereine dans l’équipe des spotters. Leurs confrères liégeois qui ont fait le déplacement les rassure : tout est sous contrôle ! Le match peut commencer.

Une bronca d’enfer et de nombreux coups de sifflet. Cela fait à peine une minute que le Clasico de la D1 belge vient de débuter et un des défenseurs liégeois est déjà exclu. Pour le commissaire bruxellois et son inspecteur, impossible de savoir si la carte rouge est méritée : ils sont revenus à l’entrée du stade pour discuter quelques minutes avec des agents de sécurité. Au centre de leur discussion informelle, des nouvelles de connaissances communes. “On reste vigilant à la moindre info importante qu’on peut nous donner dans l’oreillette mais ça ne doit pas nous empêcher de rester nous-mêmes avec les gens qu’on croise”, sourient les deux policiers en civil.

Un petit bonjour à droite, une poignée de main à gauche, le match est finalement aussi calme dans les tribunes que sur le terrain. 18h45, c’est la mi-temps. Le moment privilégié pour palper l’ambiance générale et continuer de nouer quelques contacts. Comme c’est le cas avec ce supporter un rien alcoolisé…

“Ah, commissaire ! Comment ça va ? Vous savez que j’ai eu des nouvelles du Français de l’autre fois, au match à Lyon…” Naturellement, le supporter se confie et donne son point de vue sur une amende qu’il a reçue récemment. Une prune au goût amer. “Franchement, ce n’est pas moi qu’on voit sur les images de la caméra, se défend le jeune homme. Impossible que ce soit moi.” Face à lui, le responsable de la cellule Information et Football écoute sans broncher. “Tu sais bien ce qu’il te reste à faire si tu n’es pas d’accord : tu peux toujours aller en appel, hein. Mais bon…” Le temps pour lui de terminer sa chope et le supporter retourne dans les tribunes, après avoir salué le spotter. “C’est un gars que je connais bien car on le voit très souvent aux matches d’Anderlecht. Il a eu une amende parce qu’il a fauté il y a peu de temps, il sait sans doute qu’il est dans son tort mais il essaye quand même de nous amadouer. C’est le jeu. Parce que c’est clair que ça ne fait jamais plaisir de devoir payer plusieurs centaines d’euros pour une connerie qu’on a faite en venant au stade. Ils sont clairement de mauvaise foi quand ils doivent se défendre dans ces cas-là. Surtout quand on sait qu’ils ont été filmés par exemple.” “En fait, briser l’anonymat de ces supporters, leur montrer qu’on est présent pour les écouter et tendre l’oreille à ce qu’ils peuvent nous dire d’intéressant, c’est ça qui est important dans notre métier, renchérit l’inspecteur. C’est même la base. Dès qu’ils savent qu’on est là et qu’on les observe, qu’on sait ce qu’ils ont fait ou ce qu’ils s’apprêtent à faire, ça en dissuade pas mal d’entre eux.” Reste toujours quelques irréductibles, à l’instar des hooligans hollandais repérés dans l’après-midi.

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Je sais que vous avez déjà un album photos de moi dans votre bureau !

Sur le mur du local qui domine les tribunes et la pelouse, un nombre impressionnant d’écrans diffuse les images enregistrées par les caméras de sécurité. Au centre, quatre hommes sont en train de se faire sortir manu militari de leur tribune. Accompagnés par des spotters et des stewards jusqu’à l’entrée du stade, ils vont apprendre à connaître le commissaire bruxellois.

“Alors, qu’est-ce qui s’est passé ? Quoi, vous dites que vous n’avez rien fait ? Et vous venez d’où comme ça ? D’Amsterdam, c’est bien ça.” Entre l’entretien et l’interrogatoire, l’échange se fait plus incisif. “Bon, vous allez me donner vos cartes d’identité et je vais faire une photo de vous avant que la police ne vous emmène au commissariat.” A peine quelques minutes plus tard, tout le monde rentre dans le combi.

“Ce sont bel et bien les gars qu’on avait vus tout à l’heure, assure l’inspecteur. D’après ce qu’on m’a dit dans l’oreillette, les policiers ont trouvé des stupéfiants sur eux ainsi qu’une arme prohibée.”

Le match vient de se terminer. Anderlecht et le Standard n’ont pas réussi à se départager. Ce qui tape sur les nerfs de quelques-uns. “Les cars des Liégeois sont repartis sans problème, mais notre journée n’est pas finie.” La preuve, cinq minutes plus tard, une bagarre éclate entre supporters mauves.

“Il m’a craché dessus. Je lui en ai donc collé une, c’est tout, se défend un jeune homme devant ses amis, quelques spotters et plusieurs stewards. Tu n’aurais pas fait la même chose, toi ?” A nouveau, le commissaire note l’identité de chacun et prend quelques photos. “Mais je suis certain que vous avez déjà un album photos de moi dans votre bureau”, lâche un des fans avant de repartir “boire un dernier verre”.

20h52. Autour du stade Vanden Stock, la tension redescend. Dans et devant les cafés voisins, on refait le match. “Mais c’est trop calme à mon goût”, estime le responsable des spotters. Il a eu le nez fin, un mouvement important est annoncé dans l’oreillette. Deux collègues annoncent l’arrivée imminente d’une bande. Pour les policiers, l’objectif est de calmer les esprits avant que la situation ne s’envenime. Trop tard, un petit groupe de supporters s’en prend à deux-trois gars en train de siroter leur bière. Un coup de poing vole. La foule s’écarte. Tout le monde s’enfuit en courant. La castagne aura duré 15 secondes à peine.

“C’était un des types qu’on a contrôlé il y a une demi-heure, assure un des inspecteurs. Le gars à qui ils s’en sont pris avec son pote a certainement demandé qu’on lui inflige une petite leçon. Et visiblement, le message est bien passé.”

Le calme de retour, la soirée se termine en douceur. Les spotters se retrouvent une dernière fois devant le stade pour faire le point de la situation. Un dernier bilan ? “Tout est sous contrôle.” Anderlecht n’a peut-être pas été efficace sur la pelouse, mais ses spotters ont fait le boulot dans les coulisses.

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