Pour avoir servi de décor au mythique film  de Dany Boon, sorti il y a 10 ans, Bergues a endossé, malgré elle,  le statut de capitale des Ch’tis et de leur folklore. Or, la petite ville nordiste se trouve dans les Hauts de Flandres (eux-même situés dans les Hauts…de France) ! Et ses habitants ne sont pas des Ch’tis…. mais des Flamands !

Envoyés spéciaux à Bergues, nous pensions prendre un bain de « Ch’titude », replonger dans la « Ch’ti mania ». Nous nous régalions à l’avance de tous les « Heiiiin » que nous allions faire dire aux passants, les « C’hest biau », « Vingt de Didousse, », les évocations du « Maroille dans l’Chicorè », les « Carabistoules » et autres « Biloute » dont on ne parvient pas à se lasser.

Et donc quelle déception, lundi matin, sous le crachin (de ce côté, c’est bien le « Noooord » prévu) sur le marché installé au centre-ville, entre le beffroi et la mairie.

Une jolie bourgade, Bergues, 3 923 habitants, à 10 km de Dunkerque, élégante et circulaire, cernée de vestiges de remparts construits au XIIIe siècle,  où l’on accède par des voies pavées qui  franchissent une série de portes élégantes (certaines remontant au XVe). Une ville-musée à laquelle Vauban (au XVIIe) a, à son tour, imposé sa griffe et dont des millions de spectateurs ont découverts les ruelles, les ponts et les placettes grâce au film de Dany Boon (XXIe siècle).

Mais  voilà, la vérité nous est donnée sans détour : ichi, pardon ici, on n’est pas …  chez les Ch’tis. « Ils sont plus bas, les Ch’tis, du côté de Lens, en Picardie. Nous, on est des Flamands », nous expliquent les badauds sur le marché. Et les Flamands, ça ne parle pas comme les Ch’tis. « Ce sont des Parisiens qui sont venus tourner ici sans savoir, rigole un marchand de pulls, gouailleur. Pour se foutre des gens de la région ». Aucune chance de trouver de vrais Ch’tis au marché de Bergues alors ? Si en cherchant, on tombe sur deux couples originaires de Le Quesnoy qui font leurs emplettes. « On est venu habiter près d’ici, ben oui, on est des migrants », se marrent-ils.

POUR UN PETIT CH’TI TOUR…

Bon, la mixité sociale semble possible. Il est vrai que Bergues se revendique flamande mais elle ne crache pas pour autant dans la soupe. On n’est pas chez les Ch’tis mais on sait faire semblant. A  toutes les devantures des cafés, s’affiche le blason de la bière « Ch’ti ».

Et à l’office du tourisme , les premières  choses que l’on remarque sont les t-shirts noirs mentionnant « Salut t’chio Biloute », et un vélo jaune de postier qui a servi pour le film.

« Alors, notre attraction-vedette, c’est le Ch’ti tour, explique Aline Lagatie. Il dure 1 heure 30, c’est à pied, sur un parcours de  800  mètres. Nous avons trois guides dont l’un est notre carillonneur Jacques Martel. »

Au menu de la promenade, organisée trois fois par semaine (sur rendez-vous pour les groupes), tous les secrets du tournage,  les astuces techniques, la transformation du bâtiment EDF en bureau postal,  la cuisine de Line Renaud, la fausse vraie pluie. Les fans s’y remémorent le film par l’imagination et en 3D, revivant les scènes, les maisons, les personnages, les dialogues.

Après l’effet « Ch’ti » fonctionne toujours à Bergues ? « Après le film, la fréquentation touristique a augmenté de 400% et aujourd’hui, on est toujours à la moitié des chiffres de l’époque », déclare l’employée de l’office du tourisme.

On y voit le merchandising du film se décliner dans toute une série de gadgets : mugs, stickers, décapsuleurs, porte-clés et même… paillassons. Il y a aussi la « boîte à hein » qui fait « heiiiin » sur le principe de la « boîte à meuh » !

FAIRE SON BEURRE GRACE AU FROMAGE

Alors quand même, après 10 ans, essoufflement ou pas : « On se dit que oui, ça va finir par retomber, explique Jérôme, de la Friterie des Flandres (située place de la République, au cœur de la ville et qui alimentait en frites le tournage du film), mais il suffit que le film repasse à la télé ou qu’on reparle de Dany Boon pour voir les clients venir en masse chez nous. »

Apparemment, le film a boosté la popularité de la fricadelle : « Avant le film, on en vendait 40 chaque semaine, aujourd’hui, on est plutôt à 400.»

Pour rester dans la fine gastronomie, difficile de ne pas évoquer le maroilles ce fromage régional (Maroilles est le nom d’un patelin et d’une abbaye) auquel le film a donné une notoriété extraordinaire. Il fait vivre 2000 personnes dans la région, selon une estimation du … syndicat du Maroilles.

A  entendre persifler quelques  ambulants, s’il y en a qui ont bien fait leur beurre grâce au film, ce serait donc les fromagers ! Réponse de l’un d’eux : « Mais non, pas spécialement, défend Antoine, dans son camion de « Spécialiste du fromage ». Oui, on en a beaucoup vendu et on en vend encore, mais regardez notre présentoir, il n’est pas spécialement mis en avant !  Nous défendons tout autant les autres fromages régionaux, à commencer par le bergues. »

Le bergues qui, apparemment, est nettement plus odorant que le maroilles. Lequel choisir ? Ben, mettez-nous « un peu de tout »…

« Notre unique hôtel est passé de 20 à 40 chambres »

Madame la maire, alias Sylvie Brachet, nous reçoit sur le coup de midi dans son bureau, au rez-de-chaussée de la mairie (où  fut tournée la scène du mariage). Quelques précisions : la maire de Bergues est étiquetée « radicale de gauche » (tendance Taubira – Mélanchon) et est en poste depuis 10 ans, mais à mi-temps. Elle travaille en effet comme responsable de la qualité dans une filiale du groupe Arcelor-Mittal. Elle parle de l’aventure « Ch’ti » avec plaisir, et a conservé plein de documents liés au tournage du film.

Madame la maire, le paradoxe, c’est que Bergues a hérité d’un statut de capitale des  Ch’tis…alors qu’il n’y a pas de Ch’ti ici…

Non, c’est vrai, cela fait partie, je pense  du côté vaudeville et quiproquos de toute cette histoire. Je ne connais que deux vrais Ch’tis dans la municipalité, c’est Monsieur et Madame Botte.

Et comment assumez-vous ce statut un peu factice ?

Et bien, il a fallu s’adapter. Mais rassurez-vous, ici les gens sont flamands, ils ont le sens des affaires, ils ont vite vu l’intérêt de cette opportunité qui se présentait et a pris une tournure que nul n’aurait imaginée.

Qu’est-ce qui a changé à Bergues depuis 10 ans ?

Beaucoup de choses. Au beffroi, le  nombre de visites annuel a été multiplié par 30 ! Ça s’est un peu tassé ces dernières années mais on a quand même encore  des chiffres intéressant. Les restaurateurs se sont adaptés, les cafetiers ont modifié leurs horaires. Beaucoup de gîtes et de chambres d’hôtes se sont créés. Nous avons un hôtel « Au Tonnelier » qui a doublé son nombre de chambres.

Doubler, ça veut dire qu’il est passé de combien à combien ?

De 20 à 40 ! C’est déjà pas mal, car c’est un bâtiment du XVIIIe ! Et Bergues, c’est une ville où il y a énormément de règles à respecter pour construire ou s’agrandir.

Quand le film a été tourné, au fond, vous n’étiez pas encore maire ?

Non, car c’était en 2007 et j’ai été élue en 2008. Ce n’est donc pas moi qui ait donné les autorisations (rires). Mais je me souviens que le tournage n’avait pas toujours été apprécié. Des rues et des places avaient été bloquées et les commerçants locaux, forcément avaient eu l’impression d’être lésés. Notamment à cause de l’énorme chapiteau qui servait de cantine à toute l’équipe, et qui devait, c’est très règlementé le cinéma, se déplacer pour rester proche des scènes du tournage.  Mais bon, depuis, ils ont bien profité !

À  cause de ce film, on vient souvent vous interviewer…

Oui, mais c’est toujours avec plaisir. Cela fait partie du métier de maire.

La rénovation du beffroi :  1 million d’euros, début des travaux en mars

C’est le gros dossier du moment à Bergues, la rénovation de l’emblématique beffroi où Dany Boon était carillonneur dans le film (et déclarait sa flamme à sa promise Annabelle). Cela fait un an que le carillon de 50 cloches ne sonne plus. « C’est un budget d’1 million d’euros, dit la maire Sylvie Brachet. Nous allons chercher des sous partout où nous pouvons, à la Région, au patrimoine, au Département…Les mécènes sont les bienvenus aussi ». Edifié à partir du XIIIe siècle, il est arrivé au monument plein de mésaventures. Il fut même dynamité par les Allemands lors de leur retraite de 1944. Reconstruit en 1961, il est classé « patrimoine mondial de l’Unesco» depuis 2005. C’est aussi le monument le plus visité, mais la circulation à son sommet n’était pas aisée pour les touristes. Les travaux vont commencer en mars et il y en a pour neuf mois. Avant « Bienvenue chez les Ch’tis », on comptait 2000 « montées » de touristes par an. C’est passé à 35 000 en 2008 et 2009 après la sortie du film. Aujourd’hui, c’est stabilisé entre 10 et 15000.

La Friterie « Momo » ? Elle est au stade de Lens

Elle est assez compliquée l’histoire de la friterie « Momo », qui donne lieu à quelques croustillantes scènes du film (celle avec des frites et des fricadelles). Au départ, cette friterie n’existe pas. Mais Dany Boon souhaite sa création pour le film. Et c’est un dénommé Jean-Pierre Dambrinne, responsable de la société Sensas, qui la fournit. Une friterie mobile plutôt « vintage » et qui, dans le film, sera juste un décor  (les frites seront cuites ailleurs). C’est aussi Dany Boon qui invente le nom Friterie « Momo », qui sera gardé après coup. Après la sortie du film, beaucoup de gens sont venus à Bergues pour manger des frites à la Friterie « Momo ». Mais ils ne l’ont jamais trouvée. En effet, la mairie ne l’a pas  autorisée à rester. « Tout simplement parce qu’une friterie  ambulante ne cadrait pas avec les règles de respect du patrimoine environnant ». La maire a des regrets par rapport à cela : « On aurait pu faire quelque chose avec cette Friterie « Momo ». Mais bon, ce sont les autres friteries fixes qui auraient été mécontentes ». Cela n’empêche pas la Friterie « Momo » d’être réputée « la plus célèbre de France » et d’avoir tourné dans tout l’Hexagone. Actuellement, elle prend position toutes les deux semaines à Lens, devant le Stade Bollaert. Au milieu des vrais Ch’tis, fans de foot en prime. La fiction a créé une réalité.

Ch’tites brèves de comptoir

La fête des 10 ans ce dimanche, à l’abattoir

Tout Bergues se retrouvera ce dimanche 25 février pour  un grand moment de convivialité qui se déroulera de 9h à 11h à … l’abattoir de  Bergues (rue du Marché aux fromages). Ce sera un petit déjeuner aux saveurs du terroir. L’affiche précise que « pour les plus téméraires, osez le maroilles ou le bergues dans votre café »

Pas de cinéma à Bergues

Paradoxe : Bergues n’as pas de cinéma. Il y a eu l’une ou l’autre salle après la guerre (l’une dans un garage) mais, depuis 1985, il n’y a plus rien. Dany Boon n’a donc jamais pu projeter son film dans les décors de celui-ci. Et les habitants de Bergues, ils ont dû aller voir le film ailleurs, au Ociné de Dunkerque, par exemple.

10 ans et 8 jours plus tard

C’est ce mercredi 28 février que sort, chez nous et en France, le nouveau Dany Boon dédié aux gens du Nord « La  Ch’tite famille », qui cette fois n’a pas du tout été tourné à Bergues. Soit 10 ans et 8 jours exactement après la sortie du premier qui, à la surprise générale, avait atteint le score de 20.489.303 spectateurs en France, plus gros  succès de l’histoire du cinéma français, largement devant « Intouchables » (19,4 millions) et « La Grande Vadrouille » (17,2 millions).

Cela aurait dû être Armentières

Au départ, le film aurait dû être tourné à Armentières, la ville dont provient Dany Boon. Mais est-ce une « légende urbaine » ? Le maire local aurait refusé le tournage. Il est passé à côté de la montre en or. Armentières reste malgré tout célèbre pour une arrivée catastrophique du Tour de France, où un gendarme qui prenait une photo a fait tomber Laurent Jalabert et Wilfried Nélissen en plein sprint. Ce dernier ne s’en est jamais remis.

Apprenez à parler Ch’tis

Vous avez aimé ou détesté ce reportage ?